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de fou ; il eut cela de commun avec la plupart des inventeurs. il n’en démordit pas, se rendit dans le Morvan, acheta une partie de forêt, la fit abattre, la jeta à l’eau, la réunit, en fit des trains et les conduisit triomphalement au quai de la Grève. L’exemple était donné, on l’imita et l’on fit bien. En 1556, un autre marchand, René Arnould, perfectionna la construction des trains et les amena à l’état où nous les voyons encore aujourd’hui. Le bois étant abattu et dépecé à une longueur moyenne déterminée, chaque bûche est timbrée d’une estampille particulière indiquant à qui il appartient, puis on l’abandonne au ruisseau voisin, auquel on a eu soin de faire un barrage en aval, à l’endroit où il tombe dans une rivière. Là on fait le tri (les ouvriers chargés de cette besogne se nomment les triqueurs), on groupe ensemble tous les morceaux de bois appartenant au même individu, et l’on en fait un train qui est toujours composé d’une façon invariable. On divise le train en 576 parties égales, préparées séparément et qu’on nomme les mises, on assemble ces mises quatre par quatre ; ainsi réunies, elles sont des branches. Quand les 72 branches sont faites, on les groupe en dix-huit portions, dont chacune forme un coupon ; neuf de ces coupons rattachés ensemble deviennent une part, la part d’avant et la part d’arrière ; ces deux parts, solidement liées l’une à l’autre, complètent le train, qui, ainsi parachevé, est prêt pour le flot. Ainsi un train se compose de deux parts, de dix-huit coupons, de soixante-douze branches et de cinq cent soixante-seize mises ; les cordes en osier qui servent à faire un tout de ces divers élémens s’appellent, comme au temps où Jean Rouvet les employa pour la première fois, des harts. Par suite d’une vieille coutume traditionnelle, tout individu, quel qu’il soit, homme, femme ou enfant, qui travaille à trier, à empiler le bois, à confectionner le train, a le droit de brûler sur place ce dont il a besoin pour son usage personnel tout le temps qu’il travaille ; de plus chaque soir il reçoit le faix, c’est-à-dire un certain nombre de bûches équivalant à son faix, à ce qu’il peut emporter sous son bras.

Les trains voyagent deux par deux et forment ainsi un couplage. Chacun est dirigé par deux hommes : l’un, le flotteur, qui se tient à l’avant, dirige la navigation, se sert du pieu de nage pour guider son long serpent de bois à travers les méandres du fleuve ; l’autre, qui est un apprenti dont la place est à l’arrière, et qui à cause de cela est surnommé le petit derrière. Quand les trains arrivent vers Paris, on les gare au Port-à-l’Anglais, près de Charenton ; là les conducteurs reçoivent de l’un des inspecteurs des différens ports de Paris l’autorisation d’entrer et de se ranger à l’emplacement désigné où le train doit être tiré. Il est dépecé, détaché bûche à bûche par des ouvriers qui sont des tireurs, puis le tout est chargé sur