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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/180

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des charrettes et conduit aux chantiers, où il attend l’heure d’être vendu. Le bois vert est propre à être brûlé après une année de coupe, le bois sec attend dix-huit mois ou deux ans. Les ports de Paris spécialement réservés au tirage des bois sont ceux de la Gare, de la Râpée, le port au vin, le port des Invalides et les ports du canal Saint-Martin. En 1866, il est arrivé à Paris 2,616 trains de bois à œuvrer et à brûler représentant l’énorme poids de 582,509,729 kilogrammes. La majeure partie des bois à brûler, 166,625,470 kilogrammes, est venue par l’Yonne et ses affluens, tandis que c’est la Marne qui nous a apporté le plus de bois à œuvrer, 74,637,030 kilogrammes. Il y a des mois pendant lesquels le flottage chôme singulièrement, tandis que dans certains autres il semble se multiplier : si en janvier, février, mars 1866, les trains n’arrivent qu’au nombre de 21, — 26, — 18, ils montent en mai, juin, juillet, au chiffre de 691, — 441, — 385. A partir de ce moment, ils décroissent ; mais l’hiver approche, il faut faire sa provision de bois, les marchands craignent d’être pris au dépourvu, et novembre donne 367 trains. S’il arrive qu’un train de bois se détraque en route ou se brise sur une pile de pont, la marchandise n’est pas perdue pour cela. Chaque année, en exécution de l’ordonnance de police du 25 octobre 1840 (art. 194), le préfet de police délivre environ quatre-vingts commissions de repêcheurs de bois à des individus présentés par l’agent général du commerce des bois à brûler.

C’est un dur métier que celui de flotteur ; il faut sans cesse être sur le qui-vive, la nuit, quand on dort, ne dormir que d’un œil, parer au passage des ponts et des écluses, éviter les courans trop lents ou trop rapides, vivre les pieds dans l’eau et la tête au soleil, devenir une espèce d’être amphibie et connaître jusque dans leurs détours, leurs caprices, leurs fausses apparences, les rivières auxquelles on s’abandonne. Ces flotteurs qui nous apportent à Paris notre provision de bois pour l’hiver constituent une race énergique, rude, un peu brutale parfois, mais d’une probité à toute épreuve. Pieds nus, le pantalon retroussé, la veste de camelot à l’épaule, ils vont, pendant de longues journées mélancoliques, au cours de l’eau qui les emporte, chantant un refrain monotone ou jetant un ordre bref à l’enfant qui est à l’arrière et guide les derniers coupons. Ils n’ont pas cependant la poésie, la haute saveur de ces flotteurs de la Murg qui, vêtus de rouge et de blanc, la tête coiffée du bonnet de renard à pasquilles d’or, mènent jusqu’à Dordrecht et Amsterdam, par le Rhin et la Meuse, des trains de bois de construction qui valent souvent quatre ou cinq millions. D’un temps oublié maintenant, ils ont conservé l’habitude de commander France, Allemagne, selon la rive du Rhin vers laquelle ils veulent incliner ; quand ils sont arrivés au terme de leur voyage,