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lieu de naissance, état civil, profession. — Demeure : rue, quartier. — Vêtemens, — genre de mort, — temps écoulé depuis la mort. — Suicide ou homicide, — causes présumées. — Envoyé par le commissaire de… — Lieu où le cadavre a été trouvé. — Autopsie. — Date de l’inhumation. — Observations. Il faut naturellement qu’un corps soit reconnu pour que toutes ces questions reçoivent une réponse.

La Seine rend bien des cadavres, mais elle en garde quelques-uns ; les gens qui périssent par accident ne sont pas tous retrouvés, et il arrive très souvent que des personnes n’ayant pas vu revenir un parent ou un ami vont le chercher à la Morgue, où il n’est pas. Le greffier alors, avec une perspicacité de juge d’instruction, interroge le réclamant, et sur un registre de renseignemens il inscrit la date de la disparition, les nom et prénoms, la demeure, le signalement détaillé, le genre de vêtemens, les signes particuliers, sans oublier les tatouages, la marque du linge, les anneaux d’oreilles et certains appareils chirurgicaux que les gens du peuple, accoutumés aux métiers pénibles, sont souvent obligés de porter. Dans ces sortes d’interrogatoires, qui presque toujours s’adressent à des personnes d’une éducation médiocre et d’une instruction trop imparfaite, il faut développer une patience, une sagacité, je dirai même une astuce extraordinaire, et que l’habitude peut seule donner.

Le greffier actuel de la Morgue est un homme singulièrement actif et dévoué ; il a, si je puis dire, la passion de l’identité, et il n’épargne nulle peine pour arriver à reconnaître celle des malheureux qui sont étendus sur les tristes dalles. C’est là en effet le grand but auquel la Morgue doit servir, et pour lequel la préfecture de police ne mesure point ses efforts : constater l’identité des cadavres, régulariser leur état civil et donner une dernière et douloureuse satisfaction aux familles. Si les vêtemens du mort contiennent des papiers, on écrit en hâte aux adresses qu’ils peuvent indiquer ; si un curieux entre par hasard émet des doutes sur la personnalité des corps exposés, on lui demande de désigner la demeure, les habitudes, les relations du pauvre diable qui n’est plus, et aussitôt une enquête est commencée. C’est ainsi par induction, par interrogatoires répétés, en harcelant les gens de questions et de lettres, en passant du connu à l’inconnu, qu’on parvient, après mille difficultés, à savoir précisément le nom, l’âge et la profession de la plupart de ces êtres informes que la Morgue reçoit tous les jours.

Ce dur, très dur métier, est bien mal rétribué ; le greffier, sur qui pèse une responsabilité perpétuelle, a 2,100 francs par an ; son personnel, insuffisant aujourd’hui, est composé d’un commis aux écritures, de deux garçons de salle et d’un surveillant qui touchent chacun 1,200 francs. C’est trop peu, et un si pénible labeur devrait être