Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

explique aussi l’indifférence plus habituelle encore où nous laissent la statuaire et ses œuvres. Pour beaucoup d’entre nous, la sculpture n’est guère qu’une vieille convention, sinon un préjugé, une forme d’expression surannée bonne tout au plus à perpétuer dans le monde érudit certaines traditions scientifiques. L’erreur est grande assurément ; mais, il faut bien le dire, elle n’est pas toujours sans prétexte. Dans le peu de succès que rencontre aujourd’hui la sculpture, tous les torts ne sont pas de notre côté : on pourrait attribuer une bonne partt de cette impopularité à la banalité même des moyens choisis et à l’abnégation excessive de ceux qui les emploient. Les hommes qui de notre temps entreprennent après tant d’autres de modeler quelque honnête figure de dieu ou de déesse renouvelée de l’Apollon du Belvédère ou de la Vénus de Médicis, les sculpteurs que nous voyons, en désespoir d’invention, se cantonner dans l’imitation de deux ou trois types mille fois reproduits déjà procèdent à peu près comme des poètes qui s’obstineraient à ne nous parler qu’en vers grecs ou latins. Quoi de moins coupable en pareil cas que nos distractions, que notre froideur ? Le malheur est seulement que des efforts et des talens plus sérieux se trouvent compromis dans l’opinion inspirée par ces contrefaçons ou ces redites inutiles. Une statue, pour peu qu’elle représente un personnage nu ou qu’elle exprime une intention allégorique, prend immédiatement a nos yeux l’apparence d’un anachronisme. Malgré ce qu’elle peut avoir au fond d’original et de véritablement méritoire, elle n’est pour nous qu’un exemplaire de plus de ces types prévus, copiés à satiété, que la coutume impose à la civilisation moderne.

Il serait bien nécessaire pourtant de distinguer la part de chacun dans cet ensemble de tentatives inégalement recommandables. Si bon nombre d’artistes croient avoir assez fait quand ils ont réussi, moyennant quelques recettes d’école, à simuler les procédés extérieurs de la statuaire grecque ou romaine, d’autres cherchent et trouvent dans l’étude de l’antiquité des secrets plus rares et plus féconds. Au lieu de réduire leur tâche à un archaïsme stérile, ils travaillent à en rajeunir les conditions par le caractère particulier des formes et la vraisemblance de l’expression. Même en traitant un sujet allégorique, ils n’oublient pas que nos croyances et nos mœurs ne sont plus celles qui avaient cours au temps de Périclès ou d’Auguste, et que, s’ils ont le droit, pour se faire plus aisément comprendre, d’employer certains moyens consacrés, ils ont aussi le devoir d’approprier ces formules païennes aux exigences de notre goût et aux coutumes de la pensée chrétienne. S’agit-il d’un thème fourni par l’histoire ou par la réalité contemporaine, d’un groupe héroïque comme celui que Rude a sculpté sur une des faces de l’Arc de l’Étoile, ou d’une simple figure de genre comme le