Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Danseur napolitain modelé par Duret, ici encore et à plus forte raison l’imitation littérale de l’antique aboutirait au mensonge ou au contresens. Que pour traduire des sujets de cette espèce les sculpteurs s’inspirent des travaux accomplis par les anciens dans des cas analogues, qu’ils prennent conseil des bas-reliefs romains, des éphèbes ou des Faunes grecs, ils ne sauraient mieux faire, à la condition toutefois de ne demander à ces exemples que des renseignemens sur l’art de rendre fidèlement la nature et la vie et de n’y puiser en quelque sorte que des leçons de sincérité. Non, si incomparablement belle que soit la statuaire antique, avec quelque zèle qu’on doive en interroger les monumens et les moindres débris, il ne faut pas, sous peine de mauvaise foi envers soi-même et envers son temps, immobiliser dans la pratique les traditions qu’elle impose ; il ne faut pas, en reconnaissant l’autorité qui lui appartient à tant de titres, exagérer le respect jusqu’à l’inertie de la pensée, la docilité, jusqu’à l’asservissement. La fonction de la sculpture moderne ne saurait uniquement consister dans la fabrication d’effigies vieilles en naissant de plus de vingt siècles, dans la réédition à tout propos, sous tous les noms et pour toutes les places, d’une série d’images taillées d’après un invariable patron.

Pourquoi vouloir d’ailleurs emprisonner le beau dans les limites d’une manière, dans les privilèges physiques d’une race, dans les usages d’une époque ? Quelle nécessité, en présence de la vie, de galvaniser un cadavre, de sacrifier les vérités directes qui nous entourent à des vérités de seconde main, l’art enfin à l’archéologie et le modèle humain à la statue grecque ? L’homme, après tout, pour fournir à la sculpture un type digne d’elle, n’est pas tenu d’avoir vécu à Athènes vers la quatre-vingt-troisième olympiade. Il lui suffit d’être beau de cette inévitable beauté que donnent en tout temps et en tout pays la santé, la force, la jeunesse, ou même de présenter jusque dans la dépression sénile des formes ces caractères accentués qui déterminent une physionomie. Quand les maîtres florentins du XVe siècle sculptaient les images de leurs contemporains, ils ne songeaient pas à le prendre de si haut avec la nature. Loin d’affubler leurs modèles de je ne sais quel faux semblant de majesté hellénique, ils entendaient en accepter franchement les irrégularités et en traduire les apparences dans un style d’élite sans doute, mais éloquent avant tout par sa véracité. On peut dire en ce sens que l’essentiel des principes grecs revit le plus souvent là où le sujet et la manière sont en réalité le moins archaïques. Pour ne citer que des exemples récens, tel buste sculpté par M. Cavelier ou par M. Guillaume d’après un personnage de notre temps participe plus directement de la méthode antique, malgré les caractères tout modernes du modèle et de l’œuvre, que telle tête d’étude aux