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tous ses peuples. Ce projet grandiose échoua devant la résistance décidée des puissances étrangères[1] et même des petits états, qui ne voulaient point que l’Autriche, pas plus que la Prusse, acquît une prépondérance absolue. L’Allemagne fut donc ramenée malgré elle au régime que la sainte-alliance lui avait imposé en 1815. De tant d’efforts, de tant d’espérances, de tant de projets de réforme, il ne restait rien qu’un grand découragement et une irritation profonde. Chaque élan vers l’unité produisait une désunion plus grande. Les Allemands, avait dit Borne, ne savent que souffrir ensemble, ils ne savent point agir en commun. L’ironie dédaigneuse des conservateurs victorieux irritait encore la plaie vive de la nation. « L’unité allemande, disait une brochure autrichienne qui fit beaucoup de bruit à cette époque, c’est la quadrature du cercle ; quand on croit la saisir, c’est alors qu’on la reconnaît impossible. Elle ressemble à nos cathédrales, il n’y en a pas une de finie. »

Malgré tous ces mécomptes, le sentiment national persista. Il reçut comme un choc électrique au 2 décembre 1851. L’Allemagne ne put se défendre d’une vive inquiétude en voyant la résurrection de la dynastie napoléonienne entourée de cette auréole de gloire militaire acquise jadis sur tant de champs de bataille allemands. En 1859, quand l’empereur Napoléon, passant les Alpes, souleva l’Italie, ses paroles trouvèrent de l’écho au-delà du Rhin et y déchaînèrent le mouvement unitaire. Les souverains, surtout la Bavière ultramontaine, songèrent à s’allier à l’Autriche contre la France. Les libéraux au contraire bénissaient l’intervention française, parce qu’en brisant l’Autriche elle détruisait l’obstacle qui rendait l’unité impossible. Les démocrates allèrent même jusqu’à convier la Prusse à profiter du moment pour unifier l’Allemagne[2]. C’est de cette époque que date la fameuse association du National-Verein, qui se donna pour mission d’amener ce résultat.

Jusqu’à la guerre d’Italie, le mouvement unitaire avait été comme

  1. L’envoyé français baron Brenier, dans une dépêche remarquable, s’opposa énergiquement à ce projet.
  2. Le chef de la démocratie socialiste, Lasalle, publia alors une brochure intitulée : La guerre d’Italie et la mission de la Prusse (Der italiänische Krieg und die Aufgabe Preussens). Il y disait : « La guerre de l’Italie n’est pas seulement sanctifiée par tous les principes de la démocratie, elle est un avantage énorme pour l’Allemagne. Elle lui apporte le salut. Napoléon III, en conviant par sa proclamation les Italiens à chasser les Autrichiens de la péninsule, accomplit une mission allemande : il renverse l’Autriche, l’éternel obstacle qui s’est opposé à l’unité de notre patrie. Si la carte de l’Europe est refaite au nom des nationalités dans le sud, appliquons le même principe au nord. Que la Prusse agisse sans hésiter, sinon elle aura donné la preuve que la monarchie est incapable d’une action nationale. » M. de Bismarck, si longtemps le chef et le type des conservateurs, n’a fait qu’exécuter le programme du révolutionnaire Lasalle.