Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demande aux documens qu’elle fournit des notions certaines ; mais qu’on n’y cherche pas un équivalent de ce que la gravure seule est en mesure de nous révéler. Laissons donc à celle-ci sa fonction et à la photographie son métier. La gravure n’est pas morte et ne doit pas mourir des coups que lui aura portés sa prétendue rivale, pas plus que l’art du statuaire ne saurait être vaincu par les procédés du moulage sur la nature. Elle peut être condamnée à l’inaction là où le principal résultat à obtenir est une imitation littérale, dans la reproduction des monumens de l’architecture par exemple ou dans les fac-similé de dessins. Partout ailleurs elle garde ses privilèges et défie les comparaisons avec la mécanique, parce que, au lieu de s’arrêter comme celle-ci à la surface des choses, elle en pénètre la signification secrète, parce qu’elle fait œuvre de sentiment et de pensée, parce qu’elle est une forme d’expression pour l’intelligence et non une contrefaçon muette de la réalité.

Or, précisément à cause de ces conditions et de ces ressources, l’art du burin impose à ceux qui le pratiquent une extrême réserve dans l’emploi apparent des moyens. Tout ce qui tendrait à l’étalage du faire, à l’ostentation de la manoeuvre, pour nous servir du terme consacré, serait une usurpation et un contre-sens, l’accessoire l’emportant ainsi sur le principal. En outre il y aurait là une justification implicite de l’opinion défavorable à la gravure, puisque le talent, en n’agissant plus que dans la sphère de la dextérité, se montrerait, quoi qu’il fît, matériellement moins habile et en tout cas moins rapide que le procédé mécanique. Nous ne saurions dire que des fautes de cette espèce, plus compromettantes que jamais dans les circonstances où nous sommes, n’aient pas été commises par plusieurs graveurs de notre époque. Le temps est bien passé pourtant où la manière molle et pédantesquement facile d’un Morghen pouvait, sans offenser personne, dénaturer le style des plus grands peintres, où la stérile adresse avec laquelle Wille découpait le cuivre suffisait pour procurer le succès à ses œuvres et une notoriété européenne à son nom. Sans doute, aujourd’hui comme toujours, il est nécessaire que le graveur choisisse avec un soin scrupuleux ses travaux, c’est-à-dire les combinaisons de tailles les plus propres à modeler chaque forme dans le juste sens, à exprimer la dégradations des plans ou les valeurs relatives du coloris ; sans doute, il faut qu’il trouve le secret d’assouplir un instrument rebelle, à la condition toutefois de ne pas nous informer trop complaisamment des efforts faits pour y réussir. Il faut en en mot que sa main ait d’autant moins d’orgueil qu’elle aura en réalité plus de science, sans quoi nos regards mal à propos occupés ne verraient dans une estampe que les traces de l’outil et oublieraient presque l’objet représenté pour s’en tenir à ce que leur montrerait