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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/234

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étendue à toutes les distances et est parvenue à surmonter toutes les difficultés des transports. Cependant celui qui de fait, sinon de droit, peut seul acheter les marchandises négociables d’un pays et seul vendre les objets nécessaires à la vie est un terrible despote ; on ne vit que par sa permission, et pour vivre les hommes se transforment. On a laissé à l’Indien l’exercice de ses facultés physiques, son industrie sauvage, son aptitude de chasseur, on lui a laissé tout ce qui pouvait être utile au service de la compagnie ; on a anéanti l’homme intérieur, et, en cessant d’être un sauvage, l’Indien n’est pas devenu un civilisé, il est devenu un sujet de la Compagnie de la baie d’Hudson. Le mal n’est peut-être pas grand. Si les races inférieures doivent inévitablement disparaître, mieux vaut la mort lente, mesurée, administrative, du nord-ouest de l’Amérique que les spoliations de la Cafrerie ou les massacres de la Nouvelle-Zélande. Seulement, qu’on ne parle pas de sauvages à propos de ces Indiens qui se trouvent honorés d’être les domestiques des Européens et dont les femmes se font blanchisseuses !

Lord Milton et M. Cheadle donnent deux conseils à ceux qui seraient tentés d’aller courir les aventures dans le far west. Ils disent : « Comptez pour votre subsistance sur la plume plutôt que sur le poil. N’emportez pas avec vous de carabines à cartons rayés ; contentez-vous d’un fusil à deux coups qui puisse porter la balle à l’occasion. » Tout chasseur comprendra ce que cela signifie, et retournera sans dédain aux lièvres et aux perdreaux de son pays. Quoi qu’il en soit, de tous les métiers, le plus rude, le plus insupportable, est le métier de trappeur. Naturellement la chasse aux bêtes fauves n’a lieu qu’en hiver, alors que les fourrures sont les plus belles, et que les animaux qui les portent laissent sur la neige les empreintes de leur passage. On ne se sert que de pièges, et les trappes en usage sur le territoire de la Compagnie de la baie d’Hudson sont absolument construites sur le modèle des pièges que nous appelons en France des assommoirs. Toute l’habileté consiste dans la manière de poser les trappes et de cacher à l’animal le passage de l’homme. On s’en va donc sur la neige à travers la forêt, portant sur le dos son fusil, sa couverture, ses vivres et ses outils, chercher à plusieurs journées de distance un terrain de chasse qui n’ait pas encore été parcouru. Il faut marcher tant que le jour dure et rester la nuit sans abri. Le bagage est toujours trop lourd pour les heures de marche, et toujours insuffisant pour les heures d’immobilité ; toujours les vivres font défaut. — Après avoir posé les trappes, on s’en retourne à la hutte, et huit jours après on revient les visiter. Est-on sûr au moins que la moisson sera abondante ? Il y a une chose terrible pour les populations qui vivent de la chasse : le gibier diminue à mesure que la valeur en