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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/233

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disposé à croire que, durant leur hivernage à la Belle-Prairie, M. Cheadle et lord Milton n’ont pas vu de véritables sauvages ; ils ont vu des sujets de la Compagnie de la baie d’Hudson, ils ont vu des hommes apprivoisés, domptés, transformés par une politique habile et persévérante. M. Cheadle se prend de querelle avec un Indien ; celui-ci le saisit à la gorge, lui porte au cœur la lame de son couteau et lui dit : « Si j’étais un Cree de la prairie, vous seriez mort. » Avec autant de sang-froid que d’à-propos, M. Cheadle répond : « Oui, mais vous êtes un Cree de la forêt… » En d’autres termes : vous vivez sur le territoire de la compagnie, et vous savez que, si vous commettiez un meurtre, vous ne pourriez plus ni vendre une peau de martre ni acheter une couverture.

D’où vient que la Compagnie de la baie d’Hudson et les anciennes compagnies de fourrures du Canada ont su gouverner les Indiens, tandis que la grande république américaine n’est parvenue qu’à les détruire ? D’où vient qu’elles ont transformé le sauvage comme on transforme un braconnier en en faisant un garde-chasse ? Sans nul doute, les circonstances ne sont pas les mêmes au nord et au sud. Dans les pays à bisons, les Indiens ne dépendent pas des Européens pour leur subsistance, et dans les pays à fourrures ils sont sous la dépendance commerciale des Européens ; mais cette raison n’est pas la seule. Si cruel que soit d’ordinaire le gouvernement d’une compagnie commerciale, il y a pour les races indigènes une chose pire qu’un gouvernement de marchands, c’est un gouvernement de colons. Les Indiens étant ce qu’ils sont, c’est-à-dire des gens toujours sous le coup de la famine, le laisser-faire les livre à l’exploitation de la race la plus dépourvue de scrupules qu’il y ait au monde, la race des trafiquans européens dans les pays sauvages. Pour que l’Indien ne soit pas exploité sans merci, il faut un prix de vente et un prix d’achat fixés d’avance, il faut des marchés toujours ouverts, il faut une prévoyance plus grande que la sienne, qui réunisse de longue main les approvisionnemens, il faut en un mot de l’ordre au milieu du désordre. Puis les grandes compagnies, leur part faite (la part du lion assurément), se sont opposées aux envahissemens des colons sur les terrains de chasse. Il s’est élevé un intérêt indien en opposition avec l’intérêt colon. Les peaux-rouges ont trouvé des protecteurs dans les conseils des hommes blancs, et même, à force de lutter contre l’esprit colon, les administrateurs de la compagnie et ses agens en sont arrivés à se prendre pour des missionnaires chargés par la Providence de veiller au bien-être des indigènes. Aussi les procédés de la Compagnie de la baie d’Hudson envers les Indiens ont-ils été généralement réguliers, modérés et parfois généreux. La douceur de son patronage ne lui fait pas moins d’honneur que l’habileté administrative qui s’est