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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/238

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sur les lieux mêmes attend les marchandises pour les transporter à la baie d’Hudson. Au milieu des bois et des prairies, sur le bord des lacs, çà et là, de petites communautés de demi-sang et d’Indiens, sous la direction de leurs missionnaires catholiques, se livrent à l’agriculture et à l’élève des bestiaux. Le sol est fécond, l’ordre est parfait, et tous prospèrent dans l’ignorance du luxe et de la misère. La langue qu’on parle, c’est le français ; les chansons que l’on chante, ce sont des chansons françaises. Y a-t-il quelque chose de plus touchant que l’amour opiniâtre de ces demi-sang et de ces Indiens du Canada pour une patrie inconnue qui ne leur donne ni une pensée ni un regret ? On sent comment les choses ont dû se passer. Pendant qu’à l’approche du flot d’émigration qui a suivi la conquête anglaise les colons français de Québec et des environs se resserraient les uns contre les autres dans un territoire restreint, sous l’empire des mêmes sentimens la population des chasseurs se dispersa dans l’ouest. Une union intime s’établit entre tous les déshérités de la forêt, et de là sortit une race nouvelle, celle des demi-sang canadiens. C’est parmi les hommes de cette race que la compagnie recrute ses voyageurs, pour me servir de l’expression française qui a passé dans la langue anglaise au Canada.

Jusqu’à présent, le projet de gagner directement par l’ouest les mines d’or du Cariboo dans la Colombie anglaise n’a été qu’une idée vague et une sorte de gageure ; maintenant il faut préciser les plans et arrêter les moyens d’exécution. Les hommes les plus compétens, des chefs de comptoirs qui ont pendant vingt et trente ans parcouru tout le nord-ouest et plusieurs fois traversé les Montagnes-Rocheuses, sont à Edmonton pour les affaires de la compagnie. Il y a là aussi des demi-sang qui ont servi de guides dans plusieurs expéditions. Chaque soir, après dîner, en fumant la pipe, on raconte les histoires du pays, C’est un mineur américain, appelé Perry, qui a traversé seul le continent dans toute sa largeur et poussé devant lui pendant huit cents lieues la brouette qui portait ses outils et ses provisions. C’est un Indien Cree qui s’est sauvé à la course, poursuivi par une tribu entière de Pieds-Noirs, grâce à un système d’entraînement imaginé par le commandant du fort Benton sur le Missouri. Ces récits et d’autres semblables échauffent l’imagination des deux jeunes Anglais. Ils brûlent de montrer que des hommes élevés dans la mollesse peuvent être, s’ils le veulent, aussi durs à la fatigue qu’un Indien et aussi intrépides qu’un mineur. Toutefois leur projet est universellement blâmé. L’opinion est unanime pour déclarer impossible d’atteindre le Cariboo par l’ouest. On dit que toutes les passes praticables des Montagnes-Rocheuses aboutissent au sud sur la rivière Columbia, et que la seule praticable au nord est celle qui est parcourue chaque été par un