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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/250

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Pacifique, on trouvera que, pour ce service seul, les États-Unis paient 21 francs par tête de Californien. Ce n’est pas tout. Un chemin de fer subventionné par le congrès dans les mêmes conditions que celui de Californie unit ou unira bientôt la vallée du Mississipi à celle de la Rivière-Rouge dans le Minnesota. Un bateau américain parcourt maintenant la Rivière-Rouge jusqu’au fort Garry. Grâce à une communication non interrompue par bateaux à vapeur et par chemins de fer, le fort Garry et tous les établissemens anglais de la Rivière-Rouge sont reliés aux États-Unis et séparés du Canada. Comme de raison, aux désirs légitimes et aux reproches fondés viennent se joindre les idées chimériques. Le chemin de fer du Canada à la Colombie anglaise diminuera de plus de 1,000 lieues la distance de l’Europe à la Chine et au Japon. Toute la côte occidentale de l’Amérique, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, les Indes elles-mêmes, seront rapprochées de l’Angleterre. Port-Esquimalt deviendra le port militaire le plus important du monde, Victoria le plus grand entrepôt commercial… Comme de raison aussi, on ne tient pas compte des difficultés. On ne se demande pas si la rive septentrionale du Lac-Supérieur est aussi peuplée que la vallée du Mississipi, si le fort William, à l’extrémité du lac, peut rivaliser avec une ville comme Saint-Louis, si le pays n’est pas inhabité du Lac-Supérieur au Cariboo, si les passes des Montagnes-Rocheuses jusqu’à présent reconnues praticables ne tombent pas toutes sur la vallée de la Columbia, c’est-à-dire sur le territoire américain. La Californie, qui est américaine, a des routes par terre ; la Colombie, qui est anglaise, n’en a pas : le gouvernement anglais déserte donc l’intérêt de ses colonies et a perdu le sentiment de sa grandeur !

Dans tous les temps, les colons se sont plu à croire la grandeur de la métropole attachée au développement de la fortune personnelle de chacun d’eux, et l’égoïsme colonial a pris ici des proportions extraordinaires, grâce à l’essor rapide de la prospérité et à l’incertitude de l’avenir. Il est douteux que l’état misérable de la colonisation agricole dans la Colombie anglaise doive être attribué à l’absence des voies de communication plutôt qu’au manque de terrains propres à la culture, et il est certain qu’une route de la Colombie anglaise au fort Garry, où viennent aboutir les lignes américaines de paquebots et de chemins de fer, aurait pour premier résultat de transporter à New-York une partie du Commerce de Victoria ; mais, on ne peut le nier, l’Angleterre ne fait pas pour ses colonies américaines ce que font les États-Unis pour leurs territoires. Si l’Angleterre a changé sa politique coloniale et si elle est aujourd’hui la plus libérale des mères-patries, elle ne juge pas absolument nécessaire, parce qu’elle a autrefois perdu treize colonies pour avoir voulu les taxer au profit de la métropole, d’imposer les