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devenaient plus tièdes et plus prudens dès qu’ils avaient quelque chose à perdre. En les punissant alors sous quelque prétexte, il trouvait le double avantage de se délivrer de gens inutiles et gênans et de satisfaire à peu de frais l’opinion publique.

C’est surtout dans ces momens de réaction qui suivaient la mort des mauvais princes que les délateurs couraient des dangers sérieux. Les proscrits revenaient avec cette haine concentrée que nourrit l’exil ; les familles des morts, excitées par le souvenir pieux des parens qu’elles avaient perdus et par la misère dont elles souffrirent, demandaient vengeance. Les délateurs tremblaient et se cachaient ; ils devenaient tout d’un coup humbles et supplians, eux si impertinens la veille. Ils allaient dans l’ombre, sous les portiques, essayer de trouver leurs ennemis et de les fléchir. À l’avènement de Vespasien, il y eut dans le sénat des scènes violentes qui rappellent ce qui se passa dans notre convention après thermidor. On parlait de mettre en accusation tous ceux qui s’étaient compromis sous les règnes précédens. On ne voulait pas qu’aucun coupable échappât. On réclamait les registres du palais impérial pour savoir les noms de ceux qui s’étaient offerts à être délateurs. Chaque magistrat, chaque sénateur dut venir jurer à son tour « qu’il n’avait concouru à aucun acte qui pût nuire à la sûreté de personne, et qu’il n’avait jamais tiré ni profit ni honneur de l’infortune d’aucun citoyen. » Quand paraissaient ceux à qui l’on avait quelque reproche à faire, on les poursuivait de cris et de gestes menaçans. Quelques-uns d’entre eux baissaient la tête ou accusaient leurs complices ; d’autres se défendaient avec audace ; ils rappelaient, comme les proconsuls de la terreur, que, s’ils étaient coupables, tout le monde avait partagé leur crime. « Nous avons accusé, disait l’un d’eux, mais vous avez condamné. » Heureusement pour eux, toute cette colère ne durait pas. Le prince nouveau ne tardait pas à s’effrayer de l’importance qu’à la faveur de ces réactions fougueuses le sénat essayait de prendre. Il laissait voir que tout cet éclat l’importunait, et, comme on avait pris l’habitude d’obéir, toutes les poursuites s’arrêtaient. Il se trouvait donc que cette vengeance de tant d’injustices et de tant d’outrages, attendue patiemment pendant tant d’années, n’avait duré qu’un jour. Cependant après Domitien l’opinion publique fut plus exigeante ; elle demanda des représailles, elle voulut des victimes. On imagina pour punir les délateurs un supplice nouveau : ils furent jetés sur des vaisseaux sans pilotes et abandonnés aux flots. « Quel spectacle ! disait Pline, qui n’oubliait pas qu’ils avaient failli le faire périr, — une flotte de délateurs, livrée à tous les caprices des vents, forcée de tendre ses voiles à la tempête, de suivre les vagues furieuses sur tous les