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LES DÉLATEURS.

augmenta par les satisfactions mêmes qu’il lui donnait, il ne fut plus aussi commode. « Il m’a échappé, » disait-il d’un de ceux qui s’étaient ainsi pressés de mourir. L. Vétus s’étant tué au plus vite avec sa belle-mère et sa fille, dès qu’il s’était vu accusé, Néron, très mécontent, ordonna de continuer leur procès, et après les avoir fait juger et condamner dans les formes, il eut la générosité de leur permettre de choisir le genre de mort qui leur conviendrait le mieux. Il y avait déjà plusieurs jours qu’ils étaient ensevelis. Ce mépris de la vie, cette façon rapide et résolue d’accepter son sort et de le prévenir, plaisaient fort à Sénèque, et le rendaient fier de son temps. « Regardez notre siècle, dit-il, dont nous accusons la mollesse et la lâcheté, tous les rangs, toutes les fortunes, tous les âges, vous offriront des gens qui n’ont pas hésité à se délivrer de leurs maux par la mort. » Tacite en est moins satisfait. « Son cœur se serre à la vue de cette soumission d’esclave et de tout ce sang perdu en pleine paix, » et il déclare qu’il n’approuve pas ces morts « si lâchement résignées. » La raison qu’il a pour les condamner si durement est sans doute la même qui chez nous pousse quelques personnes à blâmer la résignation des victimes de la terreur. Il est certain qu’un condamné qui accepte si facilement son arrêt semble en reconnaître la justice, qu’il encourage celui qui le frappe à continuer par l’espérance de l’impunité, et qu’il ne donne pas le temps de naître à la pitié publique. Un peu plus de résistance aurait eu peut-être ce double effet de rendre le pouvoir plus réservé et la foule plus sympathique.

Il m’est arrivé quelquefois, dans le cours de cette étude, de rappeler, à propos de l’empire romain, les souvenirs de la révolution française. Ces deux époques présentent plus d’une analogie, et elles ont été souvent comparées entre elles. On se souvient de cette page admirable du Vieux Cordelier où Camille Desmoulins se sert de Tacite pour commenter la loi des suspects. Il y avait en effet des suspects sous l’empire ; on y invoquait aussi le salut public pour justifier des proscriptions, et dans quelques jugemens sommaires du sénat ce respect apparent des formes légales qui cache la violation effrontée de toutes les conditions de la défense fait songer aux procédés du tribunal révolutionnaire. Ces deux despotismes, partis de principes si opposés, se sont souvent rapprochés par les résultats. Il ne leur convient guère de s’adresser, comme ils font, des récriminations violentes. Tous les deux ont commencé par supprimer la liberté ; tous les deux ont affiché le même mépris de la vie humaine et fait naître dans ceux qui les exerçaient comme une ivresse de sang et une folie de meurtres ; tous les deux ont eu leur terreur. Certains récits de Tacite ou de Suétone laissent dans l’âme