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même moment à Nantes, où les états de la ligue, de plus en plus alarmés des projets de l’Espagne, suppliaient pourtant don Juan d’Aquila d’obtenir de sa majesté catholique une augmentation de l’effectif entretenu par elle en Bretagne. Les états de Rennes envoyèrent une députation en Angleterre pour y solliciter des secours plus considérables, et leurs agens reçurent l’ordre de passer ensuite en Hollande, afin d’intéresser les états-généraux au triste sort de la Bretagne. Cette double négociation échoua. La seule trace qu’on en rencontre aux registres des états est une lettre du 11 avril 1594. Cette pièce constate que tous les efforts tentés à Londres ont été inutiles. L’un de ces députés, le sieur de Montmartin, nous apprend dans ses Mémoires qu’ayant été présenté à la reine Elisabeth par Beauvais Lanocle, « ladite reine lui fit entendre quelques petites plaintes, mais sans déclarer toutefois qu’elle voulait abandonner son bon frère, ajoutant qu’avant de faire réponse elle désirait être éclaircie de quelques ouvertures qu’elle lui avait faites[1]. »

Ces ouvertures tendaient à obtenir du roi l’abandon de Brest aux Anglais ou à leur laisser au moins la possession de Morlaix, que le maréchal d’Aumont venait de reprendre avec leur assistance, et qui pouvait devenir, moyennant quelques travaux, une position formidable pour dominer l’entrée de la Manche. Avertis de ce projet, Montmartin et ses collègues déclarèrent que la province se soulèverait tout entière pour en empêcher l’accomplissement. D’un autre côté, la reine fut informée par un agent secret envoyé vers le marquis de Sourdéac, sur lequel le cabinet anglais avait cru pouvoir compter, que le gouverneur de Brest, digne du sang de Rieux qui coulait dans ses veines, résisterait jusqu’à la mort aux ordres même du roi, s’il en recevait jamais celui de livrer cette place aux Anglais. Cette princesse ne put enfin ignorer, d’après l’attitude des députés bretons, que les états ne ratifieraient point la cession de Morlaix, en admettant que Henri IV parvînt à s’y résigner. Découragée dès lors d’une entreprise qui restait inutile à la grandeur de son pays sans pouvoir, depuis la conversion du roi, profiter à la cause protestante, Elisabeth prit bientôt après la résolution de rappeler ses troupes, et l’évacuation de la Bretagne par les Anglais ne tarda point à commencer. Cette province n’eut pas aussi bon marché de l’obstination castillane ; ce fut seulement en 1598, au moment de disparaître de cette scène qu’il avait agitée si longtemps, que Philippe II put se résoudre à abandonner le coin de terre auquel l’attachaient les derniers rêves de son ambition toujours trompée.

Ce qui honore à jamais ces états de Rennes délibérant au milieu de l’insurrection qui les bloque, c’est la fermeté avec laquelle ils

  1. Mémoires de Montmartin, CCXCIX.