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Cette assemblée, dont l’attitude était si fière devant le lieutenant-général du roi et devant le monarque lui-même, éprouvait cependant pour ce prince la plus respectueuse admiration. La conviction que Henri IV pouvait seul terminer la guerre civile par sa présence, le besoin de le voir au milieu de cette province désolée, alors en proie à toutes les misères humaines depuis la guerre jusqu’à la famine et à la peste, étaient devenus pour tous les députés une sorte d’obsession. L’expression en est consignée à toutes les pages des délibérations. Déjà exprimé au procès-verbal de 1695, ce vœu se retrouve dans celui de 1596. Il est reproduit l’année suivante sous de formes quasi menaçantes. L’abandon où le roi semble tenir la Bretagne, accablée de tant de maux, paraît pour les députés de cette province justifier une résolution suprême. Sur l’assurance qui leur est donnée par les commissaires du roi que sa majesté est résolue à partir sous quelques semaines, ils se décident à rester en permanence jusqu’à son arrivée, en suspendant tout vote de subsides « tant que le roi n’aura pas assisté ses fidèles sujets par le secours si désiré de sa présence. »

Le maréchal de Brissac venait de succéder au maréchal d’Aumont, mortellement blessé au siège d’une bicoque, entrepris, s’il faut en croire la chronique, pour des motifs peu dignes de lui. La résolution des états causa le plus grand trouble au nouveau gouverneur, moins assuré qu’il ne le disait lui-même du prochain voyage du roi. Pour faire rapporter cette délibération, M. de Brissac parut dans l’assemblée accompagné de M. de Montbarot, gouverneur de la ville, et du fidèle sénéchal Le Meneust de Bréquighy, qui avait conservé Rennes à Henri IV. L’allocution fort originale du comte de Brissac aux trois ordres est résumée par le greffier des états dans les termes que voici : « M. le maréchal a dit que la province ressemble à un malade fort affligé auquel est besoin de pourvoir de prompts remèdes. Ceux qui l’assistent, ayant les drogues pour le médiciner, n’osent pourtant les appliquer sans la présence du médecin, en attendant lequel, si on diffère de nourrir le malade et le pourvoir des choses nécessaires pour le soutenir, il sera certainement décédé. Il dit que la province, c’est le malade et le roi le médecin, attendant la venue duquel est besoin pourvoir à l’entretien de l’armée sans le secours de laquelle ce pays ne peut subsister et demeurerait en proie aux ennemis, et que mieux vaut pays gâté que pays perdu. À cette fin, M. le maréchal a supplié messieurs des états d’aviser au moins un fonds pour l’entretien de l’armée[1]. »

Trois refus successifs ne découragent pas le maréchal. Il revient

  1. Registre des états, séance du 17 décembre 1597.