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duchesse de Beaufort sur toutes les difficultés qui pourraient survenir ; puis, après avoir signé l’acte mémorable qui couronnait son règne[1], le roi s’empressa de quitter une ville où sa verve gasconne ne trouvait guère à s’épancher.

Ce prince ne pouvait visiter la Bretagne sans paraître dans la cité qui lui avait donné, au milieu d’une défection générale, des marques d’une persévérante fidélité. Il se rendit donc à Rennes à travers des campagnes ruinées, à l’aspect desquelles il s’écria, dit-on : « Où ces pauvres Bretons prendront-ils tout l’argent qu’ils m’ont promis ? » On lui avait promis beaucoup d’argent en effet, car, avant de se séparer, les derniers états s’étaient engagés à voter en dehors des dépenses ordinaires un fonds spécial de 200,000 écus pour la bienvenue du roi, s’il accomplissait enfin le voyage depuis si longtemps demandé. Un ordre royal venait de convoquer à Rennes ces états affamés de voir le roi. Le clergé, la noblesse, les députés des communautés, affluèrent de tous les points de la province, les membres des trois ordres, avec MM. du parlement en robes rouges, entouraient sa majesté, quand le 9 mai, par un beau soleil de printemps, elle entra dans sa bonne ville, jonchée de fleurs, le front joyeux, le sourire aux lèvres, le geste paternel et fier. Lorsqu’à la porte Toussaints le sénéchal lui présenta deux magnifiques clés d’or : « Je les accepte, mais je préfère les clés de vos cœurs, s’écria le roi, aussi prodigue à Rennes de mots charmans pour ses amis éprouvés qu’il l’avait été de millions à Nantes pour ses anciens adversaires. Les bons bourgeois royalistes, les magistrats et les nombreux suppôts du palais étaient devant Henri IV dans des transports d’admiration continue ; l’un d’entre eux nous a laissé de ce prince une photographie saisissante. « C’est un fort agréable prince, fort familier à tout le monde, mêlé à toutes choses sans grande longueur de discours et adonné à toute sorte d’exercices ; de moyenne taille, la barbe toute blanche, le poil blond commençant à grisonner, et l’œil plaisant et agréable, peut avoir l’âge de quarante-six à quarante-sept ans ; néanmoins sa barbe le rend plus vieil qu’il n’est[2]. »

Durant la semaine que Henri IV leur consacra, les habitans l’accablèrent de fêtes et de plaisirs. Ce fut une suite impitoyable de collations, de bals, de parties de bagues et de chasse dont le notaire Pichart s’est constitué le Dangeau. Entre mille anecdotes moins piquantes, il nous apprend que « comme le sieur roi sortait de Saint-Pierre, un appelé Gravelle, mente captus, s’adressa à sa

  1. Edit de Nantes du 13 avril 1598.
  2. Journal du notaire Pichart. — Preuves de l’histoire de Bretagne, t. III, c. 1757.