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prédominante qu’y occupe le règlement des intérêts matériels. On croirait lire les statuts d’une société industrielle plutôt que le pacte fondamental d’une fédération politique. On n’y dit pas un mot des droits de l’homme ; mais tout ce qui touche aux consulats, aux douanes, aux télégraphes, aux chemins de fer, est réglé jusque dans le dernier détail. Le parlement veillera, par exemple, à ce que l’unité soit introduite jusque dans les tarifs des voies ferrées, qui devront être administrées comme un réseau unique, de façon à faciliter le transport des hommes et des marchandises à grande distance par la réduction des prix aux plus extrêmes limites. Ces stipulations peuvent paraître vulgaires et indignes de figurer dans la constitution d’une grande nation. Elles ont pourtant leur importance. Il ne suffit pas de décréter l’unité ; pour qu’elle devienne une réalité vivante et durable, il faut que des intérêts communs relient ensemble les diverses parties de l’Allemagne, et rien n’est plus propre à établir un lien pareil que les communications fréquentes journalières, des hommes et l’échange rapide de leurs produits. C’est l’union douanière qui a préparé l’unité politique ; la confédération allemande est sortie du Zollverein. En voyant l’Allemagne si occupée maintenant de soins matériels, on dirait que, fatiguée de ses longues et brillantes spéculations métaphysiques, elle est pressée de descendre sur la terre pour y conquérir sa place en s’adonnant avec ardeur aux arts industriels. Qu’elle se rassure d’ailleurs : pour y parvenir, le temps consacré aux sciences n’aura pas été perdu.

La constitution nouvelle donnera-t-elle à l’Allemagne la sécurité intérieure et extérieure qu’elle poursuivait avec une si fiévreuse impatience ? Elle a pourvu à la défense du territoire en mettant sous un commandement unique toutes les forces dont elle peut disposer et en se soumettant à cette dure obligation du service militaire imposé à tous. Quant aux dissensions intérieures, aux guerres d’état à état, elles sont devenues impossibles dans le sein de la confédération. Les souverains ont été désarmés, et toute puissance de mal faire sous ce rapport leur a été enlevée. Les peuples n’ont plus à craindre de guerre civile suscitée par des rivalités dynastiques : l’exécution fédérale y mettrait bon ordre. Le danger viendra d’ailleurs. La constitution met en présence le président fédéral, qui est un roi héréditaire, imbu peut-être d’idées absolutistes, et un parlement élu d’après le mode le plus démocratique qui se puisse concevoir. Si l’on voit une lutte à mort éclater entre le président des États-Unis et le congrès, nommés tous deux par le peuple, ne faut-il pas redouter ici un conflit entre deux forces appartenant évidemment à deux mondes différens ? Les occasions peuvent manquer