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les neiges fraîches ont une singulière facilité à se soutenir paillette sur paillette et à former des avant-toits surplomblans. Il résulte de cette disposition que les rayons du soleil ne peuvent pas pénétrer dans la profondeur : ce n’est donc pas au soleil que l’on peut attribuer ces solutions de continuité ; c’est bien d’une brisure qu’il s’agit, et il faut en chercher la cause dans une tension très puissante sur toute la ligne des excavations. Qui dit tension a déjà dit mouvement. Reste à savoir si ce ne serait point encore un mouvement local.

Quand on parcourt les hautes régions, il n’y a que l’action de la fonte à la surface qui se manifeste au premier coup d’œil par des témoignages irrécusables. Elle produit de singulières formations, celle entre autres qui doit son nom de sérac à une vague ressemblance avec une espèce de fromage qu’on fabrique dans les chalets des Alpes. Les séracs sont des cristaux de glace. Il y en a de fort beaux au Goûté, de plus beaux encore au Combin ; Saussure a évalué à cinquante pieds la hauteur de ceux du Goûté ; cette mesure, calculée au moyen d’un télescope, doit être un minimum. On se demande comment se forment les séracs. Autant que j’en ai pu juger, il n’y en a guère que sur les sommets très chargés de neige et aux pentes accidentées. Il faut les chercher sur les lignes de faîte ou bien au bord des gouffres, lorsque la pente change brusquement. Supposez que la muraille de neige qui forme la lèvre inférieure d’un de ces abîmes entr’ouverts soit coupée de deux fissures transversales, et vous aurez le socle d’un sérac ; l’air joue à l’entour, et les alternatives de chaud et de froid en cristallisent toutes les surfaces. Puis il tombe une brasse de neige fraîche ; si elle réussit à se maintenir sur ce piédestal, elle ne tarde point à faire corps avec lui ; le sérac se trouve exhaussé d’un étage, et ainsi de suite. Je ne garantirais pas d’ailleurs que les séracs se forment exactement de la manière que je viens d’indiquer ; ils sont d’un abord difficile, et ils n’ont pas été l’objet d’études suffisantes. Les uns affectent une forme cubique, d’autres figurent une pyramide. On y distingue une stratification confuse, et la partie supérieure, souvent endommagée, semble n’avoir pas encore acquis une bien grande consistance. Au Goûté, les séracs forment une rangée de créneaux le long de l’arête ; au Combin, ils sont disposés en demi-cercle sur une brisure de la pente ; d’abord ils se touchent tous, comme les perles d’un collier, puis la file présente des lacunes. C’était ainsi du moins en 1858. Le chemin que l’on suivait pour atteindre la cime passait à cent pas du plus beau des séracs détachés, pyramide régulière à quatre pans qui, même à prendre la face tournée en amont, mesurait au moins le double de la hauteur que Saussure attribue à