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les cols. Si les premiers mois de l’été suffisent à fondre les neiges des cols, tout l’été suffira bien à faire disparaître celles des sommets, et c’est en effet ce qui a lieu presque partout, sauf dans les enfoncemens où le vent les entasse à deux ou trois fois la hauteur normale ; le soleil de l’été n’en vient plus à bout. On peut dire que, s’il y a des neiges qui persistent au-dessous de 3,000 mètres, c’est au vent qu’on le doit. Un effet semblable doit se produire plus haut encore.

Au premier abord, on serait tenté de croire que ces neiges persistantes restent éternellement immobiles et soustraites à la grande circulation des eaux. Plusieurs circonstances sont de nature à en faire juger ainsi. Lorsque, par exemple, on peut observer quelque tranche de neige, on y découvre ordinairement une apparence de stratification. Quelques-unes de ces tranches sont si hautes que l’on a peine à croire qu’il n’ait pas fallu des siècles pour produire de pareils entassemens. Il est clair d’ailleurs que dans la bonne saison les neiges des Alpes tendent à se fixer et à durcir. Il suffit de quelques heures de chaleur au milieu du jour pour qu’elles fondent à la surface et s’imprègnent d’eau ; le soir, lorsque la température baisse, elles se recouvrent d’une croûte de glace. La pression contribue aussi à fixer les couchés inférieures. Les tranches mises à nu sont nettes, et offrent souvent de remarquables échantillons de murailles de glace vive au bas desquelles la glace est généralement plus dure que vers le haut. Aussi serait-on tenté de conclure que la neige se fixe réellement sur les sommets, et qu’elle doit s’y entasser d’année en année jusqu’à ce que, cédant à son propre poids, elle s’écroule sur la pente. Il s’ensuivrait que les sommets très arrondis s’exhausseraient indéfiniment. Toutefois d’autres phénomènes semblent accuser un mouvement général. Si quelque îlot de rocher sort de la neige, on peut être à peu près certain que, pour y atteindre, il faudra franchir une fente plus ou moins large. Pourquoi cette solution de continuité ? La neige s’est-elle retirée, ou bien la réverbération du rocher l’aurait-elle fondue ? Cette seconde supposition paraît admissible ; mais sans quitter les neiges, s’il survient quelque changement d’inclinaison, on a toute chance d’y rencontrer des gouffres séparés les uns des autres par des ponts voûtés ou par de solides chaussées, et rangés à la file de manière à former une ligne qui coïncide avec celle du changement de la pente. On n’en approche qu’avec précaution, parce que l’ouverture est souvent plus étroite que le gouffre lui-même. Il n’y pénètre qu’une clarté vague et diffuse ; mais, quand on peut y plonger ses regards, on a peine à les détacher des reflets qui s’y jouent, et l’on dirait un caveau sans-fond rempli d’une lumière azurée. Ces gouffres sont à demi fermés :