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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/395

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et le changement. Le ruisseau du glacier est une apparition plus éphémère ; il ne dure qu’un été, il n’a pas le temps d’approfondir son lit, il rencontre en chemin peu d’obstacles, il n’a pas de rochers à contourner, pas de plantes à arroser : c’est une création beaucoup plus simple, un filet d’eau dans un sillon de glace, rien de plus ; mais cette eau est la plus limpide qu’il y ait au monde, et ce sillon est un lit d’azur. Les parois en sont si parfaitement polies que le ruisseau y glisse sans frottement, et passe sans qu’on l’entende. Point de vagues, point d’écume, point de lutte, point d’hésitation ni de petites colères ; c’est la vie facile, la grâce sans effort, l’obéissance parfaite et l’idéale limpidité.

Cependant les ruisseaux du glacier n’ont pas tous la même destinée. Quelques-uns, avant d’avoir eu le temps de grossir, arrivent au bord d’une crevasse et y tombent en pluie de perles. Si la crevasse est ouverte jusqu’au sol, il ne leur reste qu’à cheminer obscurément sous les glaces ; sinon, ils la remplissent à moitié, et trouvent des canaux intérieurs qui les ramènent au jour. On en voit qui jaillissent en brillante fontaine à quelques cents pas au-dessous de l’abîme où ils ont disparu. D’autres réussissent à éviter les crevasses, et deviennent, grâce aux affluens qu’ils reçoivent, de véritables torrens, mais toujours des torrens de cristal coulant sans révolte et sans bruit. S’ils longent quelque moraine, il y tombe souvent des pierres ; mais, à moins que le courant ne soit très faible, aucun caillou ne réussit à se maintenir contre des parois si polies ; l’eau les fait glisser avec elle, et ils n’en altèrent pas la pureté. Cependant ces torrens de long cours finissent, eux aussi, par rencontrer quelque gouffre ; il faut voir alors les belles et mystérieuses cascades, et comme le flot transparent disparaît en gerbes cristallines dans la profondeur voilée d’azur. Les ruisseaux du glacier trouvent aussi des anses où ils forment des lacs. C’est toujours une chose ravissante qu’une nappe de cette eau si parfaitement claire, immobile dans un bassin d’émeraude. Les plus purs de ces lacs sont les plus beaux, et il faut les chercher dans les parties du glacier où il y a le moins de débris. Cependant ceux qui naissent dans le voisinage immédiat des moraines ont bien aussi leur intérêt : leurs bords, constamment fondus par l’action de l’eau, ne tardent pas à s’escarper, et la moraine y déverse ses matériaux, qu’on voit entassés au fond, et dont on distingue tous les détails. La plupart ont une existence éphémère. Tôt ou tard une crevasse les traverse, et ils se vident aussitôt. Alors les matériaux mis à sec protègent contre le soleil la glace qu’ils recouvrent, et comme le soleil agit partout à l’entour, ils s’élèvent petit à petit, si bien qu’au bout de quelques mois, au lieu d’être emprisonnés dans une dépression, ils