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intéressant de pousser une pointe hardie jusqu’au milieu de ces cataractes que d’en étudier le commencement et la fin, la fin surtout. Nous avons dit comment le glacier se feuillette au-dessus de la rampe qu’il doit franchir ; vers le bas, il se reforme au contraire, les lames se rapprochent et se pressent les unes sur les autres, les abîmes se ferment, et il ne reste bientôt que des ondulations irrégulières, semblables à de grandes vagues qui s’effacent à leur tour, de telle sorte qu’à quelques cents pas de la chute le glacier est aussi tranquille que s’il n’avait pas cessé de cheminer par une route unie. On pourrait croire que la glace doit en être plus friable, ou tout au moins qu’on y distinguera des traces mal effacées de tant de ruptures ; mais non, elle résiste plus énergiquement à la hache, et il semble que plus elle a été brisée, plus elle forme un tout indivisible. L’aspect d’ailleurs en est le même, sauf une espèce de stratification verticale très apparente sur les parois des crevasses, et qui produit parfois un effet brillant : des bandes de glace plus bleue alternent avec des bandes de glace plus blanche ; les premières paraissent enchâssées dans les secondes, elles forment ensemble une masse veinée. Plus bas enfin, on voit reparaître à la surface du glacier quelques-uns des matériaux enfouis, — d’abord les plus gros, puis les cailloux ordinaires, et finalement les moraines se reconstituent presque aussi nettes, aussi distinctes qu’auparavant.

Les glaciers ainsi tourmentés le sont quelquefois au point de se briser tout à fait. Il en résulte des avalanches d’une espèce particulière, comparables à des chutes de montagnes. J’ai pu en constater un exemple assez curieux. Il se détache du grand glacier du Combin un bras latéral, qui tombe sur le Valsorey, non loin de la route du Saint-Bernard. Il débute par une chute verticale, ou peu s’en faut, qui ne doit pas mesurer moins de deux cents mètres ; puis il rencontre des pentes assez douces sur lesquelles il se prolonge jusque dans les pâturages. En 1858, un énorme glaçon, figurant un pilier gigantesque, était adossé contre la paroi verticale. C’est la seule fois que j’aie vu une cataracte de glace ressembler tout à fait à une cascade immobilisée. C’était bien un glaçon, et pour se le représenter exactement il n’y a qu’à supposer un Niagara gelé, moins large que celui du fleuve Saint-Laurent, mais tombant avec la même unité de jet d’une hauteur deux ou trois fois plus considérable. Quelques années plus tard, la cataracte n’existait plus, et l’on ne voyait que le rocher noir contre laquelle elle s’appuyait. Ce pilier de glace s’était écroulé, et le glacier inférieur, qui ne paraissait pas avoir sensiblement diminué, n’était alimente que par les blocs qui s’écroulaient de temps à autre des hauts réservoirs du Combin. Un accident pareil est assez rare ; le plus souvent un