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neige, de ces mille paillettes qui voltigent à la manière des moucherons bercés sur leurs ailes diaphanes, se soit formé ce reptile effrayant et superbe qui s’accroche aux aspérités des rocs, déroule ses plis le long des précipices et fait craquer dans les gorges de la montagne ses anneaux monstrueux.


III

Les glaciers sont un de ces phénomènes qui ont le privilège d’exciter la curiosité et de faire naître le désir de savoir. Nous les aurions bien mal décrits, si le lecteur ne s’était pas demandé pourquoi tous ces accidens, pourquoi surtout cette glace qui marche ? La science s’est posée la même question ; nous n’essaierons pas de retracer tous les efforts qu’elle a faits pour y répondre : ce serait une longue histoire, et une histoire qui a déjà été racontée ici même par un de ceux qui y ont joué un des rôles les plus marquans. Nous n’en détacherons que ce qui peut contribuer à faire mieux saisir la physionomie du glacier. L’idée qui se présente le plus naturellement à l’esprit est que les glaciers, entraînés par leur propre pesanteur, glissent lentement sur la pente. C’est ainsi qu’en jugeait de Saussure, et sa théorie est la première qui ait eu « généralement cours parmi les savans et dans le public. Cependant elle semblait difficilement applicable à certains glaciers qui cheminent sur un fond presque plat. Cette difficulté devint plus grande encore lorsqu’on eut acquis la certitude que les glaciers avaient eu jadis une extension infiniment plus considérable. Comment les faire glisser des Alpes au Jura ? Aussi M. Jean de Charpentier, le premier naturaliste qui se soit fait une idée claire de ce qu’étaient les glaciers d’autrefois, chercha-t-il une autre explication. Il fit valoir l’immense quantité de petites fissures capillaires qui pénètrent en tout sens la substance du glacier, la facilité avec laquelle elles s’emplissent, les alternatives incessantes, — en été presque journalières, — de gelée et de dégel dans les régions glaciaires. M. de Charpentier ne mettait pas en doute qu’en additionnant toutes les pressions exercées par la congélation de l’eau contre les parois de ces innombrables fissures, on n’obtînt un déploiement de force suffisant pour expliquer même l’extension des anciens glaciers. Cette théorie remporta d’abord sur celle de Saussure, puis on y découvrit aussi dès difficultés multipliées. Elle a entre autres cet inconvénient, que la cause du mouvement s’y détruit par le mouvement même. Chaque fissure qui s’emplit est perdue pour la force motrice, et, quand toutes celles que peut contenir un glacier seraient pleines jusqu’au bord, le froid le plus intense ne pourrait le dilater que de la quantité dont l’eau se dilate en se transformant en glace,