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l’inclinaison devient forte, des aiguilles se dessinent, à côté d’elles des tours et des pyramides : le glacier semble n’avancer que par saccades violentes ; enfin, après un dernier contour plus laborieux que les autres, il débouche au milieu des pâturages et s’y termine en parois abruptes et tourmentées.

Descendre le glacier du Mont-Rose, depuis les cimes jusqu’à l’extrémité, en ne mettant le pied sur le roc que là où il le faut absolument, est sans doute un voyage pénible ; mais il y en a peu de plus intéressans. Nulle part la nature n’offre de contraste plus saisissant. Légères sont les neiges d’en haut, le glacier est pesant ; il ne se meut qu’à force d’obstination, et jusque dans les jeux les plus hardis de ses hautes cataractes il y a de l’effort, de la contrainte, je ne sais quelle rude gaucherie ; s’il a des aiguilles légèrement posées, ce ne peut être que par quelque hasard d’équilibre qui leur permet de rester longtemps dans la position d’une tour qui va tomber. Les neiges d’en haut sont pures et lumineuses, elles ont bientôt enseveli ce qui pourrait les souiller, et en toute saison elles resplendissent au soleil ; le glacier se découvre chaque été, et ne craint pas d’étaler aux yeux les matériaux qui le salissent. Les neiges d’en haut ne semblent faites que pour briller, le glacier est fait pour charrier ; il a les épaules robustes, il ne cède pas sous les plus gros blocs, il les soulève au besoin dans les airs, et vous renverseriez sur lui toute une montagne qu’il en transporterait les débris à la plaine avec ordre, avec lenteur, avec la patience de la force, et sans jamais fléchir sous le poids. Les neiges d’en haut habitent un pays de lumière, pour elles sont les premiers rayons de l’aurore et les dernières lueurs du couchant ; le glacier se traîne dans les vallées, et ne voit le ciel qu’entre deux murailles de rocher. Les neiges d’en haut ont de l’espace pour jouer et tourbillonner ; le glacier n’a pas de place pour ses vagues congelées, qui se gênent dans les défilés et s’y pressent les unes sur les autres. Les neiges d’en haut protègent les cimes ; le glacier les mine par-dessous, il les ronge, les lime, et convertit en boue la charpente des Alpes. Les neiges d’en haut reposent inoffensives dans d’éternelles solitudes ; le glacier est un envahisseur qui descend en rampant jusque dans les vallées populeuses, attaque les champs des hommes et renverse leurs habitations. Et cependant c’est bien des neiges d’en haut que naît le glacier, mais par quelle série de métamorphoses insensibles ! Amollies par la chaleur de l’été, durcies par les gelées de l’hiver, elles se fixent, se tassent, deviennent une masse rugueuse, puis une espèce de ciment grossier, puis une glace à gros grains, moitié opaque, moitié transparente, mais de plus en plus compacte, jusqu’à ce qu’enfin de cette chose légère qui s’appelle unes étoile de