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façon que la courbe de plus grande vitesse exagère les sinuosités du rivage.

Si ces phénomènes semblent attester la facilité du glacier à se plier aux circonstances, d’autres indiquent la nature revêche d’un corps rigide. Quoi de plus éloquent que le témoignage des crevasses ? Une crevasse est une brisure. Pour qu’une crevasse se forme, il faut une résistance énergique à un effort violent. On ne trouve rien de semblable sur les fleuves ni sur les coulées de lave ou d’argile. Quelle relation peut-il y avoir entre des phénomènes si opposés ? Tyndall apportait avec lui la clé du problème. Le glacier est docile quand il subit un effort de pression ; il est revêche quand il subit un effort de traction. La pression est partout ; la preuve en est dans le mouvement même du glacier, qui est constant et appréciable sur tous les points. Aussi les phénomènes qui attestent la plasticité sont-ils d’autant plus frappans qu’on embrasse un plus vaste ensemble. Nulle part on ne les apprécie mieux que du haut des cimes, d’où l’on peut suivre le cours entier de quelque grand glacier. L’effort de traction n’est pas aussi général, et pour s’en rendre un compte exact il faut voir le glacier en détail. Ce sera, si l’on veut, un accident, mais un accident si commun que c’est à peine s’il le cède en importance au fait général. Deux causes principales contribuent à multiplier les tractions : d’abord les pentes, les brusques mouvemens du sol. Un glacier plus ou moins plat arrive-t-il au bord d’un précipice, il y sera fatalement poussé ; mais à peine quelques parties de la masse y seront-elles engagées qu’elles exerceront par leur poids un effort de traction sur les parties qui suivent, et dès que cet effort l’emportera sur la résistance qu’oppose la cohésion de la glace, il y aura rupture. En second lieu, des tractions peuvent naître de la pression elle-même. Toute pression inégale doit en produire dans un corps solide. Les parties plus énergiquement poussées tirent celles qui le sont moins. Les crevasses de bord, par exemple, proviennent de ce que le glacier chemine plus rapidement au centre, en sorte que le flot central tire après lui les flots riverains, attardés par le frottement. Ceux-ci résistent, et, conformément aux lois de la mécanique, ils se brisent perpendiculairement à la ligne de traction. La combinaison de ces deux forces contraires se marque avec la dernière évidence partout où le glacier tombe en cataracte. Livré à tous les hasards d’une chute violente, il semble sur le point d’être réduit à néant, la traction l’emporte ; mais à peine atteint-il le bas du gradin qu’il a dû franchir, que la force de pression reprend le dessus, répare toutes ses brèches, et qu’il recommence à s’écouler d’un flot égal et tranquille. La traction a failli le briser en poussière ; l’instant d’après la pression l’a ressoudé en une seule et puissante masse. La