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pris pour point de départ de la prédiction un document comme l’Apocalypse, dont la véritable date n’est pas même fixée de nos jours après tous les travaux de la critique moderne ? Dans la foi naïve de l’auteur, comme dans celle de tout le moyen âge, l’Apocalypse et les autres livres du Nouveau Testament sont aussi anciens que le christianisme, et la terrible prédiction commence avec l’ère chrétienne. On sait quelle panique immense s’empara des esprits en l’an 1000. Le monde chrétien crut que les mille ans dont il est parlé dans l’Apocalypse étaient accomplis. S’il avait cru que la vision de saint Jean, qu’on place aujourd’hui en l’an 96 de l’ère chrétienne, était le point de départ de la prédiction, il n’aurait été saisi de ce grand trouble que quatre-vingt-seize ans plus tard. Il ne vint à la pensée de personne de se demander si le monde avait encore près d’un siècle à subsister. Quand donc on lit au sixième vers de la Nobla Leyczon qu’elle a été écrite mille et cent ans après la prédiction du grand cataclysme, c’est bien au commencement du XIIe siècle, qu’il faut reporter l’apparition de ce document.

La doctrine qui s’en dégage ne se sépare pas entièrement de celle de l’église dominante. Les Vaudois d’alors sont encore en communion avec elle sur une foule de questions de dogme, de discipline et de morale ; mais ils sont déjà séparés, ils sont déjà protestans par cette tendance qui, en se développant, a produit la grande scission du XVIe siècle, par la tendance à ramener la religion sur la base ancienne de la Bible. La Nobla Leyczon est un constant appel à ce qui est écrit dans le livre des chrétiens. L’auteur s’y sépare de l’orthodoxie sur deux points particuliers de croyance qui divisent encore le catholicisme de la réformation, sur l’absolution des péchés par le prêtre et sur la suprématie du pape. Il tourne en dérision ces absolutions à prix d’argent où le voleur se croit acquitté en donnant au prêtre une part du butin.

S’il a pris cent livres ou encore deux cents,
Le prêtre l’acquitte pour cent sols ou encore moins[1].


Il refuse à la hiérarchie tout entière le pouvoir d’absoudre un seul péché mortel, et déclare déchus de ce pouvoir surnaturel tous les papes qui ont régné depuis Sylvestre, qui occupait le siège de Rome au moment où Constantin fit du christianisme la religion officielle de l’empire romain. Tous les papes, dit-il, tous les cardinaux, tous les évêques, tous les abbés,

Tuit aquisti ensemp non han tan de potesta
Que ilh poissan perdonar un sol pecca mortal.

C’est sur ces deux points que la rupture paraît avoir commencé.

  1. .
    Si el a cent lioras de l’altruy o encara dui cent,
    Lo prever le quitta per cent sout o encara per menz.