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moines, et que leur hérésie est demeurée cachée depuis les temps des martyrs. »

Dans la seconde moitié du XIIe siècle, la protestation sous toutes ses formes a une tendance visible à se condenser dans le midi de la France. On voit les principaux sectaires errans, ceux du moins qui ont laissé un nom dans l’histoire, se concentrer sur ce point, y fonder des congrégations et s’y organiser pour la lutte. Le midi les attirait par sa civilisation supérieure, par sa littérature légère qui aiguisait volontiers l’épigramme contre la moinerie et la prélature officielles, et par un tour d’esprit railleur et indépendant. Le beau pays qui s’étend des Alpes au golfe de Gascogne n’avait jamais été, à vrai dire, bien soumis à l’orthodoxie. L’arianisme y avait régné longtemps avec les rois visigoths, et les souvenirs de cette forme du christianisme niant la divinité du Fils et du Saint-Esprit se confondaient avec les traditions de la glorieuse indépendance aquitaine. Aux yeux des méridionaux, le catholicisme représentait toujours la religion des hommes du nord, de la conquête et de l’invasion. Ces souvenirs étaient encore si vivans à la première apparition des sectaires, que les défenseurs de Rome ne virent d’abord en eux que les continuateurs de l’arianisme. Il n’en était rien pourtant ; l’arianisme, — qu’il fût visigoth, burgonde ou lombard, — était bien mort sous les coups de la framée franque, et il ne devait ressusciter que de nos jours sous le nom d’unitarisme. Les nouveaux adversaires qui allaient s’organiser et livrer à l’église dominante la grande bataille albigeoise s’inspiraient de doctrines bien différentes, les unes chrétiennes et tendant à ramener le christianisme à la pureté et à la simplicité des premiers jours, les autres extra-chrétiennes, réagissant non-seulement contre le catholicisme des papes, mais contre le christianisme lui-même au nom du principe dualiste ou manichéen emprunté aux théogonies gréco-asiatiques. De ces deux courans de doctrines, que les écrivains catholiques ont confondus en un seul, le premier prend sa source dans la région des Alpes où nous avons vu se former la secte vaudoise, le second dans les pays slaves de la vallée du Danube, sur les versans nord de la chaîne des Balkans, où nous verrons bientôt naître la grande, la véritable hérésie du moyen âge, la religion monstrueuse des deux principes éternels du bien et du mal. Ces deux courans, après s’être épandus au hasard sur la surface de l’Europe, trouvent enfin un lit commun dans le midi de la France, où ils se mêlent sans se confondre.


III

Ce n’était pas sans raison que le moine de l’abbaye de Saint-Thron regardait avec effroi vers ces hauteurs des Alpes où s’était