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Allez, enseignez les nations et les baptisez au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Dès le commencement du XIIe siècle, cette curieuse secte est saisie de l’esprit nouveau qui soufflait alors sur l’église et sur le monde. L’effroyable panique de l’an 1000 était passée, et la prédiction de la fin du monde n’avait eu d’autre résultat que de faire affluer des richesses immenses dans l’église, car chacun s’était empressé de faire des legs et des donations pies pour sauver son âme. Maintenant que la terreur est dissipée, la colère et l’esprit novateur s’emparent des masses opprimées et misérables. Les idées, les systèmes religieux les plus étranges, les plus opposés à l’orthodoxie, se développent avec une vigueur extraordinaire, et rapidement s’organisent en religions et en églises partout où s’offre un abri, une vallée, une montagne, le château d’un seigneur puissant qui en protège les premiers développemens. De ces petits centres de révolte religieuse partent des émissaires enthousiastes qui vont au loin opposer leur culte simple et nu et leur morale rigoriste à la pompe des cérémonies officielles, à l’opulence, au relâchement des mœurs du clergé. Les mille accidens de souveraineté et de juridiction dont la société féodale est couverte leur permettent de passer sans être vus. Ils courent l’Italie, la France et l’Allemagne sous divers déguisemens, tantôt comme marchands colporteurs, tantôt comme pèlerins ou comme ermites. Toutes les puissances de la destruction sont employées pour extirper cette étonnante végétation sectaire qui envahit la vigne du Seigneur, et l’inquisition est inventée. Elle fut remise d’abord aux mains des évêques ; mais ceux-ci, grands seigneurs temporels pour la plupart, ayant de nombreux intérêts à ménager, usèrent avec modération de cette arme terrible. Elle leur fut enlevée et remise à la plèbe fanatique des ordres religieux, qui eut dès lors droit de vie et de mort non-seulement sur les sectaires, mais encore sur les membres les plus hauts du clergé. Les ordres mendians, constitués en comité de salut public par Innocent III, promènent la mort sur la face de l’église. On brûle en Italie à Milan, à Padoue, à Orvietto et à Rome, jusque sous les yeux du pape, où les sectaires osent se montrer aussi bien qu’ailleurs ; on brûle en France à Orléans, à Arras et dans tout le midi ; on brûle en Allemagne à Cologne, à Vienne, le long du Rhin et du Danube. On met à mort les hérétiques un peu partout sous les noms divers d’ariens, de manichéens, de cathares, de bougres ou de vaudes, dont les affuble l’ignorance ou la haine pour les rendre odieux ; mais ils semblent renaître de leurs cendres et se multiplier sous la main qui les tue. L’abbé de Steinfelden, Evervin, écrivant à saint Bernard en 1164, lui dit qu’ils « sont une multitude innombrable, partout répandue, qu’ils ont dans leurs rangs des ecclésiastiques et des