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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/476

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est le plus ferme rempart de l’orthodoxie contre les emportemens de l’esprit sectaire ; mais la terreur est une mauvaise conseillère, elle fait les dieux, a dit le poète ancien, A force de s’entendre menacer de cette puissance mystérieuse, les masses ignorantes finirent par se dire qu’elles pourraient peut-être la désarmer et se la rendre propice. Sous l’empire de cette idée, il se produisit des manifestations que les écrivains orthodoxes attribuent aux sectes dualistes, mais qui en réalité se passent dans les cadres de l’église, et sont le fait de populations demeurées catholiques. Une sorte d’épidémie dêmonologique s’empare du peuple déguenillé des seigneurs et des moines. On se tourne vers le diable, on veut entrer en communion avec lui par des pactes, des initiations et des pratiques occultes, on lui demande une protection refusée par les puissances qu’on dit venir de Dieu. Le diable eut ses sabbats, ses synagogues et ses assemblées de culte, où l’on courait la nuit avec frénésie. On ne saurait faire un pas à travers le moyen âge sans rencontrer de ces manifestations qui sont inspirées par la notion exagérée du diable. L’esprit sectaire n’eut qu’à presser cette notion pour en faire sortir le Satan éternel du manichéisme. Dans ce système, Satan est créateur, le monde visible est son œuvre, mauvaise comme lui ; les empires de la terre lui appartiennent, les puissances le servent, et la plus grande de toutes, l’église romaine, est son premier ministre pour le mal. L’idée démoniaque, épouvantail destiné à tenir à distance les ennemis de l’église, se tourne ainsi contre elle, et devient dans la théologie sectaire le plus terrible agent de démolition.

Le premier noyau de cette secte étrange s’est formé au Xe siècle parmi les Slaves de la vallée du Danube. L’idée des deux dieux éternels et créateurs, cette idée qui devait déchaîner sur l’Occident des maux incalculables, est née du génie sombre et tourmenté de cette race venue la dernière de l’Asie, et qui tient encore aujourd’hui d’autres problèmes aussi redoutables suspendus devant l’Europe. Avant leur conversion au christianisme, les Slaves croyaient à un dieu mauvais qui s’appelait Czernebog, le dieu noir, et n’était peut-être que le principe mauvais de la cosmogonie persane apporté avec eux en Europe, L’auteur d’une chronique des Slaves, écrite au XIIe siècle, le prêtre Helmold[1], rapporte qu’ils lui rendaient un culte d’exécration dans leurs festins barbares en faisant passer à la ronde la coupe de malédiction pleine d’un breuvage enivrant. Ce principe de croyance ne fut pas entièrement arraché de leur esprit par leur conversion au christianisme, qui n’eut lieu qu’au IXe siècle, à la prédication de deux moines grecs, Méthodius et Cyrille. Cette conversion de surface, accomplie rapidement et en

  1. Ce document est cité par Gieseler dans son livre, Ueber den Dualismusder Slaven.