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fils de Dieu non pas parce qu’il est Dieu lui-même, mais parce qu’il est le premier-né de la création invisible. Il n’a pu s’incarner, car, la matière étant mauvaise, il serait tombé lui-même par l’incarnation dans la même captivité que l’homme. Il ne s’est incarné qu’en apparence, n’a souffert, n’est mort et n’est ressuscité qu’en apparence, sauvant les âmes non en expiant pour elles, car il ne pouvait souffrir, mais en leur enseignant la voie pour retourner à leur céleste origine. Cette voie, c’était le renoncement à un monde mauvais, la domination de l’esprit sur la matière et la destruction de la prison terrestre, la mort, suprême délivrance. Tout le système se résumait dans le sacrement du consolamentum, le seul sacrement de la secte. Par cette opération magique, l’âme du croyant était transportée des ténèbres à la lumière, de la captivité à la liberté, de Satan à Dieu. Ceux qui avaient reçu le sacrement pouvaient l’administrer à d’autres. Chaque consolé devenait ainsi un agent de propagation de la secte. Aussi s’étendit-elle de la presqu’île des Balkans aux pays occidentaux avec une rapidité étonnante.

Telles sont les deux protestations qui se sont dressées devant l’église du moyen âge. L’ignorance seule ou la mauvaise foi a pu les confondre. Les Vaudois sont des chrétiens primitifs égarés dans un monde nouveau, et les Albigeois sont des revenans du gnosticisme alexandrin, des semi-païens. Par leur principe d’amour, qui est le fond de l’Évangile, les premiers ont plané au-dessus des terreurs du moyen âge. Leur foi confiante et simple au Dieu bon qui se manifeste par l’amour dans le monde visible et dans le monde invisible les a préservés de l’invasion de la foi dualiste. Ils ont cru sans doute au diable, au principe de la terreur ; mais en embrassant plus fortement que ne l’ont fait l’orthodoxie et les autres sectes le dogme de la rédemption, d’un Dieu se faisant homme pour sauver les hommes, ils ont secoué le cauchemar de la notion terroriste du diable donnée par l’église. Retranchés dans la doctrine de saint Paul, que l’homme est justifié par la foi et qu’il n’y a plus de condamnation éternelle pour ceux qui croient au Christ, ils ont pu envisager sans crainte le grand adversaire, le Satan créé ou incréé, qui a courbé sous la terreur la pensée religieuse du moyen âge. Le principe de la protestation vaudoise ne devait pas périr, car il était l’essence même du christianisme, et tandis que la protestation albigeoise s’évaporait complètement au feu de la persécution, la première remonta aux Alpes, se reforma dans ces vallées que nous avons décrites, et d’où nous la verrons dans une autre étude se dilater de nouveau sur l’Italie et la France.


HUDRY-MENOS.