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M. Stevens voulait faire déclarer la question préalable et voter sans discussion ; mais ces procédés révolutionnaires commençaient à déplaire à la chambre : elle laissa s’engager une discussion confuse qui révéla toutes les incertitudes et toutes les perplexités des républicains. Il y en avait qui trouvaient le projet trop faible ; le plus grand nombre éprouvaient de vives répugnances pour une mesure où ils voyaient la ruine des vieux principes républicains. Deux jours de suite, M. Stevens essaya d’interrompre la discussion et d’arracher un vote à la chambre ; deux fois il fut battu par une grande majorité. Les républicains hésitaient toujours ; effrayés de se voir entraînés si loin dans le radicalisme, ils revenaient à l’espérance d’un accommodement raisonnable sur les bases de l’amendement constitutionnel. Trois d’entre eux rendirent visite au président, et lui demandèrent s’il croyait que l’amendement pût encore être accepté par le sud. Il répondit qu’il fallait d’abord réviser la clause qui excluait les rebelles des fonctions publiques, ou du moins la restreindre aux fonctions du gouvernement fédéral. On savait qu’en ce moment divers hommes influens des états du sud, entre autres l’ancien gouverneur Orr, de la Caroline, qui avait, l’année précédente, joué un rôle si conciliant dans la convention de Philadelphie, étaient venus à Washington demander conseil à M. Johnson et concerter avec lui un nouveau programme. Ils consentaient à proclamer la perpétuité de l’Union, à reconnaître la dette fédérale et à répudier la dette confédérée, à proportionner le nombre de leurs députés à celui de leurs électeurs, à ne refuser même le droit de suffrage à aucun homme, blanc ou noir, qui sût signer son nom et lire à haute voix la constitution des États-Unis. C’étaient à peu de chose près tous les principes essentiels de l’amendement constitutionnel. Les hommes sensés du sud n’étaient plus séparés des républicains modérés que par cette clause de l’incapacité politique des anciens rebelles, dont le caractère évidemment provisoire assurait la révision prochaine. Le président, devenu plus sage, consulté maintenant par tous les partis, reparaissait au milieu d’eux comme un conciliateur.

Malheureusement les hommes raisonnables qui entouraient à cette heure la Maison-Blanche ne représentaient ni les uns ni les autres la majorité de leurs partis. Malgré les conseils prudens du gouverneur Orr et de ses pareils, les états du sud n’étaient nullement décidés à accepter l’amendement. Quant aux radicaux du congrès, ils n’étaient plus disposés du tout à se contenter de leur ancien programme, et ils ne songeaient à profiter des avances du parti démocrate que pour faire eux-mêmes un pas de plus. Ils saisirent d’abord l’occasion d’un rapport de la commission d’enquête sur les troubles de la Nouvelle-Orléans pour proposer un plan de reconstruction de