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qui n’en était que la vivante image et l’incarnation nouvelle, vint prendre solennellement possession du Capitole. Dès le matin, une foule immense avait envahi les tribunes et débordait jusque dans la salle. On distinguait parmi les députés nouveaux qui faisaient leur entrée dans la chambre le pugiliste Morrissey, ancien boxeur enrichi, reconnaissable à ses glorieuses cicatrices, aujourd’hui entrepreneur de plusieurs tripots célèbres et député des démocrates irlandais de New-York, — le très célèbre Barnum, une des gloires nationales de l’Amérique, que le Connecticut, sa patrie, avait tenu à honneur d’envoyer à la chambre, — Butler, le soldat-procureur, rival malheureux du général Grant, — Logan, Banks, et toute une phalange de ces généraux à courte haleine, plus experts dans la parole que dans le maniement de l’épée, revenus depuis la guerre à leur métier primitif. Le chapelain, suivant la coutume, ouvrit la session par une prière ; on procéda ensuite à l’élection du président. M. Colfax, candidat radical, fut élu par acclamation. On se mit à rire quand un démocrate essaya de proposer la candidature de M. Brooks.

Jamais les radicaux n’avaient paru plus intraitables. Vingt-quatre heures à peine s’étaient écoulées d’un congrès à l’autre, déjà les opinions semblaient avoir marché. Le plan de reconstruction voté la semaine précédente paraissait déjà suranné. Il y avait dans l’air des projets de confiscation et de vengeance. M. Sumner, toujours insatiable, ne pouvait plus se contenter du suffrage des noirs et de l’exclusion politique des rebelles : il lui fallait des mesures plus énergiques. Il voulait que tous les gouvernemens d’états fussent licenciés, que les gouvernemens provisoires fussent composés uniquement de radicaux, c’est-à-dire de nègres, qu’on fondât des écoles, qu’on assurât un patrimoine à chacun des affranchis. Ses propositions furent heureusement repoussées par le sénat, et les plus sages des radicaux jugèrent prudent de s’ajourner jusqu’en novembre. La commission d’impeachment resta seule à l’œuvre ; une réunion extraordinaire devait avoir lieu en juillet pour délibérer sur ses conclusions.

Le nouveau congrès avait raison de se séparer. Déjà cette courte session lui avait suffi pour montrer des passions haineuses qui ne lui faisaient pas honneur. La misère était affreuse dans tous les anciens états rebelles. Pendant l’hiver qui venait de s’écouler, des milliers de personnes étaient littéralement mortes de faim. Les fermes, brûlées ou dévastées, les terres, abandonnées et redevenues sauvages, n’avaient pu être cultivées l’année précédente ; la récolte était détestable et ne fournissait pas au quart des besoins. Les propriétaires étaient dans un complet dénûment ; leur provision de maïs était épuisée, ils n’avaient pas d’argent pour la refaire. Le