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électeurs ayant été attaqué par la foule à l’entrée du village de Six-Miles-Bridge, fut contraint de faire feu pour se défendre. Six personnes furent tuées par la décharge, d’autres furent blessées. Le jury du coroner lança un verdict d’homicide volontaire contre huit soldats acteurs dans la bagarre. Ce verdict, notoirement inspiré par la haine, fut en vain déféré à la cour du banc de la reine (une des trois de Westminster, la première) ; la cour le maintint. Heureusement pour les soldats, le grand jury des assises du comté de Clare[1] rejeta le bill d’accusation.

Avec de telles précautions, les libertés publiques n’ont cependant pas paru suffisamment garanties. On en a imaginé depuis longtemps déjà une autre dont l’efficacité est grande, c’est le vote annuel du mutiny bill, c’est-à-dire de la loi qui établit et maintient la discipline de l’armée. Si le mutiny bill n’existait pas, le soldat qui aurait négligé ses devoirs ou manqué à la discipline ne serait justiciable que des tribunaux ordinaires, qui lui appliqueraient purement et simplement les peines portées par la loi commune pour les faits de ce genre accomplis dans la vie civile, c’est à dire que, dans la plupart des cas, il n’y aurait pas de peine du tout. Une sentinelle qui se serait endormie à son poste, et qui, avec le mutiny bill, est passible de la peine de mort, ne serait atteinte d’aucune punition, attendu qu’il n’est interdit à personne, les constables et les gardes de nuit exceptés, de se livrer la nuit au sommeil. Le soldat qui aurait frappé son colonel, et qui, en vertu du mutiny bill, serait immanquablement fusillé, ne pourrait être condamné que comme le simple prévenu de voies de fait. La désertion en temps de paix serait traitée comme une simple rupture d’engagement. En ayant soin de ne voter que pour le délai d’un an le mutiny bill, le parlement met les choses dans un état tel que l’armée se débanderait d’elle-même, si l’on était en présence d’un gouvernement qui se proposât de la faire servir à la violation de la constitution. Une fois l’année révolue, il serait impossible d’y maintenir une discipline quelconque.

Il y a d’autres arrangemens encore, et ceux-là ne sont pas les moins utiles, qui couvrent la nation contre tout danger politique de la part de l’armée. Par la composition de son corps d’officiers, il est impossible que l’armée anglaise se comporte à la façon des prétoriens, et ici on a l’exemple d’un fait qui semble un abus, qui, envisagé isolément et en lui-même, en a le caractère, mais qui par ses rapports avec d’autres faits tourne positivement et puissamment au bien du pays. Lorsqu’on examine en lui-même l’usage établi en Angleterre d’après lequel les grades de l’armée s’achètent, il est

  1. On sait que ce grand jury, formé de simples citoyens, remplit les fonctions confiées chez nous à la chambre des mises en accusation.