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impossible de n’y pas trouver quelque chose de choquant pour la raison et de blessant pour le principe d’égalité, et pourtant l’observateur philosophe le plus attaché aux principes aura grande peine à blâmer cette coutume, s’il considère que, pratiquée comme elle l’est en Angleterre, elle sert d’abri aux libertés publiques. En Angleterre, les grades de l’armée sont acquis par des jeunes gens des familles les plus honorables du pays qui, après avoir reçu une grande éducation, une éducation libérale dans le meilleur sens du mot, aux universités de Cambridge, d’Oxford ou de Dublin, se font du service militaire une carrière. Ils sont tous fermement attachés à la constitution, tous dévoués aux idées libérales. Ils sont d’ailleurs dans une position de fortune indépendante. Avec de tels officiers, fils ou frères ou tout au moins amis intimes de quelqu’un des membres du parlement, l’armée anglaise, dont les soldats cependant se recrutent à prix d’argent ailleurs que dans l’élite des classes populaires, n’est à aucun degré un danger pour la sécurité et l’indépendance du parlement et pour les libertés nationales.

Il est permis de rattacher aux précautions contre une tentative prétorienne, contre laquelle sont d’ailleurs toutes les probabilités, la faveur qu’a rencontrée dans le public la formation des corps nombreux de volontaires depuis une dizaine d’années. Le motif avoué ou le prétexte fut la crainte d’une invasion française, au danger de laquelle parut croire une partie de l’aristocratie, avec lord Palmerston, qui s’y rallia par calcul. C’est une organisation complète aujourd’hui, sous la direction des classes éclairées, où sont pris les officiers. L’Angleterre a désormais dans ses volontaires, formés en corps indépendans du gouvernement, une garde nationale qui protégerait ses libertés à l’intérieur, si elles venaient à être compromises. Les volontaires seraient au besoin l’armée de la liberté. En outre ils dispensent la Grande-Bretagne d’avoir une nombreuse armée soldée, épouvantail des libéraux puritains.

Un des sujets les plus intéressans à observer en ce moment en Angleterre est le changement qui s’est produit dans la balance des pouvoirs par la répartition de l’influence non-seulement entre la nation et le prince, mais entre les diverses classes de la société. La constitution anglaise, avons-nous dit, est progressive. Les rouages qui la composent, et qui semblent disposés toujours dans le même ordre, comportent des combinaisons fort différentes. L’observateur superficiel qui les regarde jouer peut se faire l’illusion que c’est encore la machine qui fonctionnait sous Guillaume III, sous la reine Anne, sous Walpole et sous George III, ou même jusqu’à un certain point à une époque plus ancienne que la révolution de 1688. En réalité, il n’en est pas ainsi. Le grand ressort n’est plus où il était naguère.