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arrangées, dont le retentissement au dehors était toujours si considérable. L’inoffensif légat n’évita point ce désagrément. Ajouter à ses terreurs déjà si grandes était à coup sûr bien inutile ; mais l’empereur jugea sans doute que l’éclat donné à son courroux agirait à distance sur l’esprit de Pie VII. Les relations de Caprara, ainsi que nous l’avons déjà dit, étaient plus fréquentes avec l’impératrice qu’avec l’empereur. C’était sa coutume de se rendre presque tous les soirs au petit cercle intime et fort restreint que tenait Joséphine ; Napoléon y faisait habituellement lui-même de courtes apparitions, pendant lesquelles il ne prêtait guère attention à la présence du ministre du saint-siège. Le malheur de Caprara voulut que le 1er juillet 1806, l’impératrice se trouvant indisposée, il fût introduit dans l’appartement de l’empereur. En ce moment s’y trouvaient réunies non-seulement la maison particulière de Joséphine, mais aussi celle de Napoléon, toutes les plus grandes dames de la cour, les ministres et la plupart des ambassadeurs étrangers. L’occasion était trop excellente pour que Napoléon la laissât échapper. A peine le légat avait-il fait son entrée, que l’empereur, lui adressant à haute voix la parole, se mit à lui parler des affaires de Rome. « Attentif à n’exprimer sur le compte de Pie VII que des sentimens de respect et d’affection, rapporte le cardinal Caprara, il se répandit en invectives contre les conseillers de sa sainteté. Il les désigna comme les auteurs de la surprise faite à la conscience du saint-père, à qui l’on a fait croire que des objets d’un intérêt purement temporel concernaient sa puissance spirituelle. Il ajouta que ces funestes conseillers seraient responsables devant Dieu et devant les hommes des malheurs qui résulteraient des réponses qui avaient été faites à ses notes. Oui, dit-il en s’échauffant de plus en plus, la conscience du saint-père a été surprise, car ces demandes ne concernaient pas le spirituel. Ce sont tout simplement des choses temporelles et politiques. Au reste le monde entier sera juge entre le pape et moi. Il reconnaîtra que je suis, moi aussi, obligé en conscience de garantir aux sujets que Dieu m’a donnés des droits sur lesquels saint Louis n’a rien cédé, ce qui ne l’a pas empêché d’être béatifié à Rome[1]. » Le légat voulut hasarder quelques mots ; l’empereur ne lui laissa pas achever la phrase qu’il avait commencée, et, reprenant son impétueux discours, il se plaignit « que le pape n’avait plus maintenant pour lui les sentimens qu’il lui avait autrefois connus ; mais les imprudens qui avaient amené ce changement se repentiraient trop tard des mauvais conseils qu’ils avaient donnés… Écrivez, s’écria-t-il devant l’assistance,

  1. Dépêche du cardinal Caprara, 3 juillet 1806.