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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/606

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et, le jour où sera accomplie cette formidable éventualité, comment sa sainteté, s’écriait-il avec douleur, pourra-t-elle ensuite rentrer jamais dans ses états ? »

Les appréhensions du cardinal Caprara étaient parfaitement fondées, et les menaces de l’empereur avaient immédiatement reçu en Italie un commencement d’exécution. Sur les ordres de M. de Talleyrand, M. Alquier, dans une note adressée directement au saint-père, et qu’il s’était efforcé de rendre aussi respectueuse dans la forme qu’elle était blessante dans le fond, lui avait signifié un véritable ultimatum[1]. Ce n’est pas tout encore. Des instructions secrètes envoyées aux commandans des troupes françaises qui occupaient Ancone et Civita-Vecchia leur avaient enjoint de mettre la main sur les revenus de l’état romain et d’incorporer les troupes du pape dans l’armée française. Le général Lemarrois, commandant les côtes de l’Adriatique, avait dû sommer les douaniers et les percepteurs des impôts sur le sel et sur les céréales de verser désormais entre ses mains les sommes destinées au trésor pontifical. Ceux qui avaient refusé d’obtempérer à ses ordres avaient été arrêtés. Il avait également fait saisir et déposer dans les caisses de l’armée française tout l’argent qui se trouvait chez les comptables du gouvernement romain. Aux réclamations élevées par les autorités pontificales, le général Lemarrois s’était borné à répondre qu’il agissait par suite d’ordres directement envoyés par l’empereur, ce qui était vrai, et que c’était à lui qu’il fallait s’adresser[2]. En général les officiers supérieurs de l’armée française mettaient dans l’exécution des mesures qui leur étaient prescrites tous les ménagemens qui dépendaient d’eux, car ils éprouvaient quelque embarras d’être obligés de prêter main-forte à de pareilles violences contre un gouvernement si faible et avec lequel ils n’étaient point en guerre. « De quel droit agissez-vous ainsi, demandait un employé du trésor pontifical à un commandant des troupes françaises chargé de saisir sa caisse ? — Vous servez un petit prince, et moi je sers un grand souverain, répondit l’officier, voilà tout mon droit. » Les mêmes choses se passaient avec quelques variantes à Civila-Vecchia. Là, le général Duhesme, qui prenait le titre de commandant des côtes de la Méditerranée, faisait savoir au prélat Negreta, gouverneur de la ville pour le pape, « qu’il eût désormais à lui adresser directement les rapports qu’il avait coutume d’envoyer à la cour de

  1. Instructions de M. de Talleyrand à M. Alquier, 24 juin 1806. — Note de M. Alquier adressée le 8 juillet 1806 au souverain pontife.
  2. Rapport de Mgr Pietro Vidoni, délégué du pape à Ancone, 29 juin 1806. — Circulaire du général Lemarrois, aide-de-camp de l’empereur, aux fermiers des moutures. — Ordre du même à MM. Ceraldi, Masconi Roberti, 22 juillet 1806.