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impériale se montaient à des sommes considérables qui grevaient lourdement le trésor pontifical. En peu de temps, le saint-siège n’avait pas déboursé moins de 2 millions d’écus romains, soit environ 10 millions de francs, somme énorme pour le temps et pour un aussi petit budget que le sien. Le produit des impôts, devenu presque insignifiant depuis les dernières pertes de territoires, ne rentrait que difficilement. Les traitemens de tous les employés étaient arriérés depuis nombre d’années, et faute d’argent rien ne marchait plus dans l’administration intérieure des états romains. Cependant Napoléon, qui avait toujours remis l’acquittement de sa dette, était moins que jamais disposé à la payer, car il comptait précisément sur ces inextricables embarras, dont il était le premier auteur, pour triompher de ce qu’il appelait « l’obstination insensée du pape. » Que, par suite d’un misérable point d’honneur, ce sont les expressions dont il se servait, Pie VII s’entêtât, plutôt que de céder, à demeurer dans une situation qu’il saurait bien lui rendre de jour en jour plus insoutenable, c’était là une hypothèse qui n’entrait point dans les prévisions de l’empereur. Ni le cardinal Fesch ni M. Alquier ne connaissaient comme lui le saint-père. C’était somme toute un très bon homme, très doux, très faible, sur lequel il avait une action personnelle dont nul ne se doutait, et qui jamais n’oserait rompre entièrement avec un protecteur tel que lui. Déjà Napoléon, gâté par le succès, en était venu sur cette question romaine, comme plus tard il devait lui arriver à propos des affaires d’Espagne et de Russie, à se méprendre complètement, lui d’ordinaire si sagace, non-seulement sur la nature des difficultés contre lesquelles il allait se heurter, mais sur le véritable caractère et sur la disposition réelle des personnes avec lesquelles il lui fallait directement traiter. Pas plus chez les individus que chez les peuples, pas plus chez un pape que chez tout autre souverain, il ne lui convenait de supposer des résolutions invincibles que ne modifierait point à la longue la froide appréciation de l’intérêt bien entendu. Sur cette donnée reposaient tous les calculs de sa politique. Il y avait tout un ordre de sentimens fiers, élevés, généreux, auxquels il ne croyait guère et dont la force de résistance lui était absolument inconnue. Le premier démenti donné à la triste théorie de ce grand contempteur de la nature humaine ne lui vint ni de la fierté de la nation espagnole, ni de l’héroïsme des Russes. Il lui fut infligé par la conscience religieuse du très modeste et très pacifique Pie VII.

Les prévisions de M. Alquier s’étaient en effet réalisées. Le saint-père n’avait témoigné nulle disposition à consentir aux conditions posées dans l’ultimatum que lui avait remis le ministre de France.