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était censé avoir écrite au prince Eugène, et que celui-ci à son tour serait censé avoir, sans ordre et spontanément, communiqué à Pie VII. Dans les mesures les plus violentes de l’empereur, il était toujours entre à toutes les époques de sa vie un certain mélange de ruse. La ruse ici surabondait ; voici d’ailleurs les principaux passages des deux lettres.

« Très saint-père, j’ai mis la lettre de votre sainteté sous les yeux de mon très-honoré père et souverain, qui m’a répondu de Dresde une longue lettre dont je communiquerai à votre sainteté un extrait… Que votre sainteté me permette de le lui dire, toutes les discussions que soulève la cour de Rome ont pour but de piquer un grand souverain qui, pénétré de sentimens religieux, sent les immenses services qu’il a rendus à la religion, soit en France, soit en Italie, soit en Allemagne, soit en Pologne, soit en Saxe. Il sait que le monde le regarde comme la colonne de la foi chrétienne, et les ennemis de la religion comme un prince qui a rendu à la religion catholique en Europe la suprématie qu’elle avait perdue. La cour de Rome est-elle mue par l’amour de la religion, lorsque, sous de vains prétextes, dans des choses où un peu de modération peut tout arranger, elle prend le ton de la menace et offusque les droits du trône, non moins sacrés que ceux de la tiare ? Si votre sainteté est vraiment mue par le sentiment de ses devoirs et du bien de la religion, qu’elle envoie des pleins pouvoirs au cardinal-légat à Paris, et en huit jours tout cela finira. Si elle ne veut point prendre ce parti, son pontificat aura été plus funeste pour la cour de Rome que celui pendant lequel le nord de l’Allemagne et l’Angleterre se séparaient d’elle. »


Ici l’empereur, après avoir parlé pour son fils, commençait à prendre la parole pour son propre compte :


« Mon fils, j’ai vu dans la lettre de sa sainteté, que certainement elle n’a pas écrite, qu’elle me menace. Croirait-elle donc que les droits du trône soient moins sacrés que ceux de la tiare ? Il y avait des rois avant qu’il y eût des papes. Ils veulent, disent-ils, publier tout le mal que je fais à la religion. Les insensés ! ils ne savent point qu’il n’y a pas un coin du monde en Italie, en Allemagne, en Pologne, où je n’aie fait encore plus de bien à la religion que le pape n’y a fait de mal, non par mauvaise intention, mais par les conseils irascibles de quelques hommes bornés qui l’entourent. Ils veulent me dénoncer à la chrétienté ! cette ridicule pensée ne peut appartenir qu’à une profonde ignorance du siècle où nous sommes. Il y a là une erreur de mille ans de date. Le pape qui se porterait à une telle démarche cesserait d’être pape à mes yeux. Je ne le considérerais que comme l’antéchrist, envoyé pour bouleverser le monde et faire du mal aux hommes, et je remercierais Dieu de son impuissance. Si cela était ainsi, je séparerais mes peuples de toute communication avec Rome, et j’y établirais une police….