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« ….. Que veut faire Pie VII en me dénonçant à la chrétienté ? Mettre mes trônes en interdit, m’excommunier ? Pense-t-il que les armes tomberont de la main de mes soldats, et mettre le poignard aux mains de mes peuples pour m’égorger ? Cette infâme doctrine, des papes furibonds l’ont prêchée. Il ne resterait plus au saint-père qu’à me faire couper les cheveux et à m’enfermer dans un monastère ! Me prend-il pour Louis le Débonnaire ?… Le pape actuel est trop puissant ; les prêtres ne sont pas faits pour gouverner. Qu’ils imitent saint Pierre, saint Paul et les saints apôtres, qui valent bien les Jules, les Boniface, les Grégoire, les Léon… C’est le désordre de l’église que veut la cour de Rome, et non le bien de la religion. Elle veut le désordre pour pouvoir s’arroger un pouvoir arbitraire et bouleverser les idées de temporel et de spirituel. Certes, je commence à rougir et à me sentir humilié de toutes les folies que m’a fait endurer la cour de Rome, et peut-être le temps n’est-il pas éloigné, si l’on veut continuer à troubler les affaires de mes états, où je ne reconnaîtrai le pape que comme évêque de Rome, comme égal et au même rang que les évêques de mes états. Je ne craindrai pas de réunir les églises gallicane, italienne, allemande, polonaise dans un concile pour faire mes affaires sans pape, et mettre mes peuples à l’abri des prétentions des prêtres de Rome… En deux mots, c’est pour la dernière fois que j’entre en discussion avec cette prêtraille romaine. On peut la mépriser et la méconnaître et être constamment dans la voie du salut, et dans le fait ce qui peut sauver dans un pays peut sauver dans un autre.

« Je tiens ma couronne de Dieu et de la volonté de mes peuples ; je n’en suis responsable qu’à Dieu et à mes peuples. Je serai toujours Charlemagne pour la cour de Rome et jamais Louis le Débonnaire… Je n’ai jamais demandé autre chose qu’un accommodement. Si Rome n’en veut point, qu’elle ne nomme point d’évêques ; mes peuples vivront sans évêques, mes églises sans direction, jusqu’à ce qu’enfin l’intérêt de la religion, dont mes peuples ont besoin, me fera prendre un parti que commandent leur bien-être et la grandeur de ma couronne ! »


A ce passage finissait la lettre de l’empereur, et le prince Eugène devait reprendre en ces termes :


« Très saint père, cette lettre n’était pas faite pour être mise sous les yeux de votre sainteté. Je la conjure de finir toutes ces discussions, d’éloigner d’elle les conseils perfides d’hommes irascibles qui, s’aveuglant sur les circonstances et sur les vrais intérêts de la religion, ne sont animés que par de petites passions… On veut lutter de puissance, et j’ose dire d’orgueil avec un souverain que nous ne pouvons comparer qu’à Cyrus et à Charlemagne. Est-ce ainsi qu’en agissaient aveu Cyrus le patriarche de Jérusalem, et envers Charlemagne les pontifes qui régnaient de son temps à Rome ?… Il n’est pas juste que les mouches s’attachent au lion et le piquent à petits coups d’aiguillon. Elles percent à peine sa