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Fontainebleau, le dernier jour du mois de septembre, en présence de, beaucoup de personnes de la cour présentes à l’audience qu’il donnait au cardinal Caprara, Napoléon s’écria très haut : « Eh bien ! le pape refuse de donner des pleins pouvoirs pour la négociation ; » puis, après s’être exprimé sur le compte de la cour de Rome dans les termes les plus amers, s’adressant tout à coup à l’assistance étonnée, il continua : « J’avais demandé au pape qu’il accordât des pleins pouvoirs… Il y avait consenti en termes généraux. On insiste, et, qui le croirait ? maintenant il refuse. Cela veut dire que le consentement donné par écrit renfermait quelque subterfuge romain ; cela est évident, puisqu’il refuse les pleins pouvoirs. » L’empereur, sans laisser rien répondre au légat, se tourna alors subitement vers d’autres personnes, et Caprara resta en tête-à-tête avec M. de Champagny ; mais bientôt Napoléon revint de nouveau de son côté. « Eh bien ! que dites-vous ? — Il ne me reste qu’un espoir, quoiqu’un peu trop éloigné, dit doucement le légat, celui que la sagesse de votre majesté saura trouver un moyen de sortir d’embarras dans une chose qui, j’en suis sûr, intéresse son honneur. » L’empereur se promena quelque temps en silence, puis il reprit : « Voyez, dit-il, si Rome se refuse absolument à donner les pleins pouvoirs, je me tairai ; je la laisserai se rendre responsable envers toute la terre des conséquences de ce fait… Si l’on persiste dans ce refus, je ne me mêlerai plus des affaires ecclésiastiques, soit de l’empire français, soit du royaume d’Italie. Quant aux affaires politiques, du moment où je ne vois dans le pape qu’un simple souverain temporel, j’entends qu’il fasse cause commune avec moi contre tous mes ennemis, et qu’il entre dans ma fédération… Autrement les troupes d’Ancône prendront possession des provinces de l’état ecclésiastique que j’ai nommées (Ancône, Urbin, Macerata, Fermo et Spolette). » Cela dit, l’empereur quitta immédiatement la salle[1].

Peu de temps après cette scène faite au légat, l’empereur put se flatter pendant quelques jours qu’il en était venu à ses fins et que le signal de la rupture serait en effet donné par le saint-père lui-même. Pie VII avait été saisi d’un véritable accès d’indignation lorsqu’il avait appris qu’en vertu d’un ordre signé de l’empereur le général Lemarrois s’était déclaré gouverneur-général d’Ancône, de Macerata, de Fermo, de Spolette et d’Urbin. Quoi ! on saisissait d’un trait de plume ses plus belles provinces. Non content de l’obliger à traiter sous le coup des plus terribles menaces, on les exécutait quand son négociateur touchait déjà aux portes de Paris. Quoi ! les mesures qui devaient être la punition de son refus de

  1. Lettre du cardinal Caprara au cardinal Casoni, 1er octobre 1807.