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frappaient ou menaçaient la population : c’étaient une vingtaine d’édits imposant les denrées et les objets de consommation usuelle, depuis le tabac jusqu’à la vaisselle d’étain ; les autres, inspirés par le même esprit fiscal, atteignaient plus directement les gentilshommes. Afin de procurer au roi des ressources financières fort restreintes, on menaçait ceux-ci dans leur état politique, dans la sécurité de leurs héritages et dans la jouissance de leurs prérogatives les plus importantes. L’anxiété universelle de la noblesse provenait de trois tentatives s’opérant simultanément contre son existence et sa fortuné : la recherche des faux nobles qui faisait trembler les véritables, tant les frais des preuves à faire étaient accablans ; la constitution à Rennes d’une chambre royale du domaine contre les revendications de laquelle on ne pouvait se garantir qu’à force d’argent ; enfin un projet de réforme judiciaire qui menaçait l’existence de la plupart des juridictions seigneuriales, et dont la seule annonce avait, d’après un écrivain breton, provoqué l’ouverture de plus de deux mille procès[1]. Personne n’était plus consisté de pareilles mesures que le duc de Chaulnes, obligé de réclamer beaucoup d’argent d’une noblesse en proie à des inquiétudes si naturelles, Aussi durant ces états dont Mme de Sévigné n’apercevait que la belle ordonnance, le gouverneur de Bretagne écrivait-il chaque soir à la cour des lettres qui, en constatant sa haute sagacité, viennent se résumer dans cette conclusion, qu’au fond la justice envers une province malheureuse serait un bon calcul, puisqu’elle ne rapporterait pas moins que l’iniquité.

« Depuis le temps de mon arrivée ici, que j’ai employé à pénétrer la vérité, je trouve, monsieur, plus de consternation et d’aliénation dans tous les esprits que je ne pouvais imaginer. Deux points principaux me paraissent être la cause de ce changement. L’un est la poursuite rigoureuse qui se fait des juridictions usurpées, et l’autre ce qui est inséré dans l’arrêt du conseil du 17 septembre 1672 contre les états, qui, par une clause générale, sont exclus de la, communication des arrêts qui détruiraient même leurs privilèges.

« Je puis vous assurer que la recherche des juridictions, dans la forme qu’elle se fait, déconcerte ici tout le monde, et nécessite à de grandes dépenses dont le roi ne profite pas. Quant à la chambre du domaine, on peut dire avec vérité que pour 200,000 livres peut-être qu’il pourra revenir au roi de cet édit, il en coûtera plus de 1 million aux particuliers ; mais ce qui me confirme davantage la peine que leur fait cette recherche, c’est qu’il paraît toute sorte

  1. M. A. du Chatellier, la Représentation provinciale en Bretagne, Revue des provinces de l’Ouest, 1856.