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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/695

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étudié en même temps les plans de ses devanciers et les rapports des hommes de mer ; il s’était approprié ce que les uns et les autres pouvaient offrir de vues précieuses ou d’utiles renseignemens pour arriver à faire des bâtimens doués de toutes et des plus diverses qualités de ceux qui les avaient précédés. Parmi ses créations, on remarqua surtout la Ville-de-Paris et l’Océan, qui étaient les plus beaux et les meilleurs voiliers des navires de guerre de l’Europe. Les successeurs de Sané n’ont fait qu’imiter ses travaux et copier ses plans ; aujourd’hui même on entend souvent invoquer les règles et les principes de cet illustre ingénieur. La force, la vitesse et l’élégance étaient réunies au plus haut degré dans ses vaisseaux de 80 et de 120, qui passent pour les chefs-d’œuvre de l’ancienne marine ; mais ces rois des mers devaient être détrônés. En présence du bâtiment à vapeur, le navire à voiles ne devenait plus qu’un instrument de guerre imparfait.

L’application de la vapeur à la navigation, en faisant tomber le prestige des anciens types de Sané, renouvelait presque entièrement les principes de la construction des vaisseaux, et renversait d’un seul coup tout ce que l’architecture navale avait autrefois de plus séduisant. Les anciennes mâtures, orgueil des marins, semblaient devoir disparaître ; les lignes de batteries, qui décoraient si bien les flancs de nos bâtimens, devaient être brisées et tronquées pour faire place aux roues et aux tambours des navires à vapeur. Aussi ce n’est pas sans des regrets sincères que le marin quittait les vieux compagnons de ses longues traversées sur l’océan pour monter ce nouveau venu qui lui promettait de le conduire plus rapidement au port, et, en cas de guerre, de porter à l’ennemi des coups plus sûrs et plus décisifs. Les premiers navires à vapeur furent des navires à roues : c’était l’enfance de l’art, car dans un combat les roues, exposées aux coups de l’ennemi, devaient être démontées dès le premier choc ; l’hélice n’eut qu’à paraître pour les supplanter. Caché sous l’eau, à l’arrière du navire, à une profondeur de 60 centimètres au moins, le nouveau moteur était tout entier à l’abri des projectiles, avantage de premier ordre pour un navire de guerre. L’apparition de l’hélice a marqué la première phase du mouvement de transformation des marines militaires, et quoique ce n’ait été que le préludé d’une métamorphose plus complète, cette période gardera une place dans les souvenirs de la marine contemporaine par les travaux gigantesques qui furent entrepris à cette époque dans les arsenaux maritimes. Au retour de leurs navigations lointaines, vaisseaux et frégates furent saisis, traînés sur les chantiers, sciés en deux, allongés tantôt par les extrémités, tantôt par le milieu, refaits et relancés, après avoir reçu cette force de la vapeur qui