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Trop heureux de pouvoir ainsi utiliser nos anciens vaisseaux, nous n’avons pas cherché, comme les Anglais, à leur faire porter des cuirasses dont le poids écrasant leur aurait fait perdre toutes leurs qualités nautiques sans réussir à les mettre en harmonie avec les nouveaux besoins. Nous avons attaqué directement les nouvelles difficultés de la construction navale, et, grâce à l’habile ingénieur qui avait su créer le Napoléon, nous avons été les premiers à les surmonter d’une manière satisfaisante. Construite d’après les calculs et les plans de M. Dupuy de Lôme, la frégate la Gloire a été le premier cuirassé de haut bord qui ait flotté sur l’océan (novembre 1859). Quelque temps après, l’Angleterre a produit le Warrior ; mais nos rivaux d’outre-Manche n’ont pas eu notre habileté, et le premier cuirassé anglais s’est montré bien inférieur à la Gloire.

On pouvait alors croire avec quelque apparence de raison que les navires allaient devenir invulnérables. Les servans des pièces et le capitaine lui-même ne devaient-ils pas, à l’abri du blindage, défier les projectiles de l’ennemi ? Cette supériorité de la défense sur l’attaque ne fut pas de longue durée, ou tout au moins s’atténua singulièrement avec le temps. La nécessité des cuirasses était à peine admise en principe, qu’une lutte d’audace et d’imagination ne tardait pas à s’établir partout entre les ingénieurs d’une part, les artilleurs et les marins de l’autre ; à mesure que les premiers forgeaient des cuirasses de plus en plus épaisses, les seconds inventaient des engins destructeurs de plus en plus terribles.

Les premières plaques de blindage, celles qui furent appliquées en France et en Angleterre aux batteries flottantes, construites à l’époque de la guerre de Crimée, ne tardèrent pas à se trouver impuissantes contre la force de pénétration des nouveaux projectiles de l’artillerie rayée et contre l’augmentation des calibres de l’artillerie à âme lisse ; mais les progrès de l’industrie métallurgique permirent bien vite d’accroître la force de résistance. Les épaisseurs des plaques de blindage ont été successivement portées à 0m,11, 0m,12 et 0m,15 centimètres ; le Marengo et l’Océan, qui sont maintenant sur nos chantiers, porteront à la flottaison des plaques de 20 centimètres, et l’industrie peut aujourd’hui fournir facilement des plaques de 22 et de 24 centimètres ; on dit même que l’Angleterre en fabrique de 30 centimètres d’épaisseur. Il est au moins douteux qu’elle réussisse jamais à les utiliser sur ses vaisseaux, car une pareille augmentation dans le poids des cuirasses conduirait fatalement à augmenter outre mesure les dimensions des navires destinés à les porter.

Les premiers canons employés contre les cuirasses par les Américains, pendant leur guerre de la sécession, avaient 11 pouces de