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l’artillerie de leurs grands navires. En France, les ingénieurs n’ont pas voulu admettre ce système ; ils n’ont pas eu confiance dans la solidité des puissans rouages nécessaires pour faire mouvoir en même temps une tour blindée et l’artillerie qu’elle contient ; ils ont redouté les avaries que peuvent occasionner dans ces mécanismes les violens roulis du navire pendant les mauvais temps et les chocs des projectiles ennemis sur la cuirasse de la tour. Ce système d’ailleurs se concilie mal avec la nécessité d’une mâture, parce que les tours tournantes se trouvent au centre du navire ; si on veut en construire plusieurs sur le même bâtiment, on se trouve contraint d’en augmenter démesurément la longueur et d’en compromettre ainsi les qualités les plus précieuses. Toutes ces raisons ne sont certes pas sans valeur, et il y aurait quant à présent de la témérité à affirmer que nos ingénieurs se sont obstinés dans un parti-pris aveugle. Lorsque les fédéraux échouèrent devant le fort. Sumter au mois d’avril 1863, plusieurs de leurs navires eurent leurs cuirasses gravement atteintes ou furent mis hors de combat ; parmi eux se trouvaient sept monitors dont les coupoles tournantes reçurent des avaries à peu près irréparables des projectiles confédérés.

Il n’y a pas cependant à en douter, quelles que soient les dispositions de détail qu’on adopte, l’avenir appartient aux navires à tourelle car c’est à cette seule condition qu’il sera possible de donner à l’artillerie des béliers à vapeur la protection du blindage, tout en lui laissant un champ de tir assez étendu pour qu’elle puisse jouer un rôle efficace dans les nouveaux combats. La forme circulaire aura d’ailleurs le grand avantage de présenter presque toujours obliquement la cuirasse aux projectiles de l’ennemi, et de lui assurer ainsi une résistance plus considérable. Le système des tours fixais à batterie barbette[1] et à plaque tournante semble aujourd’hui vouloir faire concurrence au système américain, et nous ne tarderons pas à en voir une application ingénieuse dans les nouveaux bâtimens du type Marengo qui sont actuellement sur nos chantiers. Ces navires porteront à leur partie moyenne un fort central de 14 mètres de longueur, aux quatre angles duquel s’élèveront quatre tourelles fixes à plaques tournantes, portant chacune une pièce d’artillerie de gros calibre en barbette. Le grave inconvénient de ce système est que les pièces sont totalement à découvert et qu’elles peuvent être démontées directement par les projectiles ennemis ; mais en revanche il présente de réels avantages sur les tourelles tournantes. Cette simplicité même le met à l’abri des avaries fréquentes qui sont toujours à redouter dans les mécanismes

  1. En marine, on donne le nom de barbette à toute batterie qui n’est pas couverte.