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trouvait dans un isolement complet, séparé de la gauche, qui l’abandonnait, ayant peu d’espoir de rallier les modérés et se voyant débordé par une agitation qui, laissée à elle-même, prenait l’apparence d’une vraie fièvre.

C’est alors que germait dans l’esprit de M. Rattazzi une idée singulière. — Puisqu’on voulait aller à Rome, il irait le premier, et il trouvait naturellement les meilleures raisons pour colorer cet acte d’audace qui n’était après tout qu’un acte de faiblesse. Il n’était plus maître de la situation, disait-il, on ne pouvait plus détourner l’invasion ; un mouvement pouvait éclater d’un instant à l’autre à Rome et devenir un danger pour l’Italie, pour la monarchie. Il s’agissait seulement de savoir ce qu’en penserait la France, et M. Rattazzi, s’armant de tous les périls de cette situation nouvelle, fit effectivement demander au chef du gouvernement français ce qu’il ferait dans le cas où une révolution éclaterait à Rome et où l’armée italienne irait occuper la ville éternelle : à quoi le chef du gouvernement français répondit, je crois bien, qu’il fallait réfléchir, qu’il y avait insurrection et insurrection, qu’une révolution qui serait l’œuvre des Romains eux-mêmes et une révolution qui serait faite par les bandes de Garibaldi ou par des étrangers introduits à Rome pourraient provoquer des conduites très différentes, mais que dans tous les cas il ne ferait rien sans se concerter avec le gouvernement italien ou sans le prévenir. M. Rattazzi crut-il voir dans cette réponse une de ces paroles qui permettent tout, pourvu qu’on fasse vite ? Céda-t-il aux influences excitantes qui l’entouraient ? Ce qui est certain, c’est que rien ne le décourageait, et qu’il entrait dans une vraie fureur d’action sans se demander où il allait. Il a voulu récemment expliquer cette étrange évolution dans un récit inspiré par lui, et qui a paru en Italie sous le titre d’Une page de l’histoire contemporaine. « Ce fut alors, dit-on, que Rattazzi se décidait à changer de direction, et, en tirant profit d’une agitation qu’on ne pouvait plus songer à réprimer, à accomplir et assurer pour toujours le sort de la nation. Ses mesures furent prises aussitôt et bien prises… Tout était préparé, jusqu’aux convois qui devaient transporter nos soldats, jusqu’à la proclamation qui devait annoncer à l’Europe le grand fait en rassurant les consciences sur le traitement réservé au chef du catholicisme. Le jour et l’heure étaient fixés ; tout était réglé, tout prêt en un mot ; mais au moment où il ne restait plus qu’à donner par le télégraphe le signal suprême, vint un contre-ordre. Qu’était-il arrivé ?… »

Ce qui était arrivé, je vais le dire. Les événemens s’étaient précipités : pendant que M. Rattazzi faisait des questions à Paris ou à Biarritz, le gouvernement français, voyant les bandes s’accroître