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tribut peut s’élever à dix, quinze, vingt fois la rente, c’est-à-dire à une somme presque égale à la valeur du fonds, et le malheureux tenancier, forcé de le subir, commence par se ruiner en prenant la ferme. Est-ce la faute du propriétaire ?

L’intervention des middlemen elle-même peut s’expliquer par son origine historique. Il semble que des baux longs, comprenant de grandes étendues, avec des rentes modérées, doivent être irréprochables. C’est pourtant cette nature de baux qui a donné naissance aux middlemen. Une fois en possession d’une ferme de 500 acres par exemple, ne payant que 8 shillings par acre ou 25 fr, par hectare, le tenancier trouvait commode de sous-louer à dix co-partageans à raison de 40 francs par hectare ; il réalisait par ce moyen, sans se donner de peine, un bénéfice net annuel de 3,000 francs. Ce genre d’opérations est devenu surtout fructueux par la hausse des denrées pendant la guerre contre la France. L’Angleterre tirait alors d’Irlande la plus grande partie de ses approvisionnemens, et les cultivateurs, excités par ces bénéfices, mettaient la terre à l’encan. Une première division en a amené une seconde, puis une troisième, et c’est ainsi qu’on en est venu à cette multitude de petites fermes au-dessous de 6 hectares. Les propriétaires n’ont pas pu prévoir les funestes conséquences que devait avoir ce système ; souvent même ils l’auraient compris qu’ils n’auraient pas pu l’empêcher, étant liés par des baux à long terme. Leur tort a été de ne pas s’arrêter quand ils l’ont pu et de laisser le mal prendre des proportions formidables.

Lord Dufferin a encore plus raison quand il accuse le gouvernement anglais d’avoir étouffé en Irlande tout développement industriel et commercial. Cette île possède des ports admirables, on les a longtemps fermés au commerce dans l’intérêt des ports anglais. Dès le règne d’Elisabeth, le bétail irlandais, venait faire concurrence au bétail anglais ; un acte du parlement déclara cette importation un dommage public, nuisance, et la prohiba. Plus tard, les Irlandais voulurent vendre des laines à l’Angleterre ; un nouvel acte du parlement, sous Charles II, prohiba l’entrée des laines irlandaises. Sous Guillaume III, les manufactures de laine furent interdites, et 20,000 manufacturiers quittèrent l’île. Cette politique oppressive n’a commencé à s’adoucir qu’à la fin du xvin0 siècle. Le mal était fait, il faudra beaucoup de temps pour le guérir. Une seule industrie a échappé aux prohibitions, celle du lin, et l’essor qu’elle a pris montre ce qu’auraient pu devenir toutes les autres, si elles avaient joui de la même liberté. La ville de Belfast, siège principal de cette industrie, avait 27,000 habitans en 1811 ; elle en a 150,000 aujourd’hui. La valeur annuelle des tissus de lin exportés d’Irlande atteint des chiffres énormes. Est-ce la faute des propriétaires, s’il n’en est pas de même des lainages, des cotonnades, des fers et autres métaux, et si la population laborieuse, ne trouvant pas de débouché dans le travail industriel ; a reflué presque tout entière vers le sol ?