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M. DESCLOZEAUX.

La mort a frappé récemment, à l’improviste et avant l’âge, un des hommes les plus aimés et les plus franchement aimables qui aient jamais occupé de hautes fonctions publiques, M. Desclozeaux, naguère recteur de l’académie d’Aix, il y a vingt ans secrétaire-général du ministère de la justice. Sa santé affaiblie venait d’exiger qu’il renonçât à la carrière active ; il n’a pas eu le temps de goûter en ce monde le repos qu’il avait acquis : il est mort au fond de la Provence, dans la douce et riante retraite qu’il s’était créée aux environs d’Hyères. Ni les honneurs, ni les discours n’ont manqué à sa tombe ; mais ceux qui lui ont dit les suprêmes adieux, ceux qui ont traduit en touchantes paroles les regrets unanimes qu’excitait autour d’eux sa perte inattendue, ne l’ayant connu que recteur, n’ont pu payer à sa mémoire un juste et complet tribut.

Sans doute il possédait, et même à un degré rare, les qualités, les aptitudes, disons mieux, les vertus des fonctions qu’il avait remplies. Équitable et bon par nature, ferme au besoin et toujours impartial, habile à deviner le mérite, jaloux de le récompenser, il avait su gagner à la chancellerie l’estime et l’affection de la magistrature, comme plus tard conduire avec sagesse les affaires d’un rectorat ; mais ce n’était vraiment là qu’une partie de lui-même, et la moindre partie. Il avait des goûts d’un autre ordre. Cette âme droite et tendre, ce cœur ouvert aux affections de la famille et aux douceurs de l’amitié, semblait né pour sentir et pour aimer le beau. Il était par essence ce qu’on appelle un lettré, et des plus délicats. Cette passion des choses de l’esprit, il l’avait de bonne heure combattue, par raison, par devoir, par sacrifice à sa carrière, mais sans en être jamais guéri. N’y voyez pas un simple goût, une fantaisie d’amateur : c’était un culte sérieux, nourri de solides études, de nombreuses lectures, de réflexions fécondes. Causeur aimable, il laissait, dans l’intimité, son vif et brillant esprit courir à l’aventure, mais s’il prenait la plume, il imposait à sa pensée un tour fin et concis, parfois jusqu’à la recherche, bien que toujours facile autant que distingué.

C’est là presque un secret qu’aujourd’hui ceux-là seuls connaissent qui furent ses compagnons de jeunesse et d’étude, ou ceux qui par hasard conservent la mémoire des colonnes du Globe où les essais de ce jeune critique ont parfois figuré. L’étudiant d’abord, puis l’apprenti magistrat glissait là, de temps en temps, comme à la dérobée, soit une étude sur Shakspeare, soit de piquantes notices sur les vieux poètes anglais. Sans avoir pu s’assujettir à une collaboration très active, il appartenait de cœur à la jeune phalange qui soutenait ce recueil ; il faisait campagne avec elle, assidu dans ses rangs, fidèle à son drapeau, et associé plus que personne au mouvement d’esprit de ce temps.