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Sa vie n’a pas été exempte de chagrins ; mais la plus vive peine qu’il ait peut-être ressentie devait, par grâce singulière, devenir la source bénie de sa plus vraie félicité. Une vocation irrésistible avait porté la seule fille qui lui restât, et il n’avait plus que deux enfans, à quitter la maison maternelle pour vivre en religion. Cette volontaire absence avait longtemps brisé le cœur du père ; lorsqu’enfin la douce influence de cette sainte personne apaisant peu à peu sa révolte, ouvrit ses yeux aux célestes clartés ; aussi la mort l’a trouvé prêt, si brusquement qu’elle ait pu le surprendre.

Ce n’est pas sans effort et sans un vrai serrement de cœur que nous achevons ces lignes. Qu’on nous pardonne un retour sur nous-même. Trois jours avant que ce cher compagnon de nos jeunes années disparût de ce monde, une séparation autrement déchirante s’était accomplie pour nous ! Nous avions perdu plus qu’un frère, celui que nous n’avions jamais quitté, la joie, l’honneur, l’attrait de toute notre vie ! Faut-il le dire ? il nous en coûte d’honorer une autre mémoire avant d’avoir rendu nous-même un digne hommage à cet ami. Il est vrai que l’éclat de ses services, sa grande position, l’étendue, la puissance de son esprit, n’étaient un secret pour personne : il n’avait pas besoin de nous ; c’était même un moyen de le mieux honorer que de ne pas mêler d’intimes confidences aux éloquens éloges de voix plus impartiales, et surtout à l’admirable adieu que le témoin le plus illustre de sa vie militante a déposé sur son cercueil. C’est le cœur moins troublé qu’il nous faudra plus tard essayer de parler de lui, et de trouver peut-être quelques aspects de sa personne que tout le monde n’a pas vus : tandis que pour cet autre absent, presque inconnu même de ceux qui l’entouraient de la plus haute estime, le devoir est de ne pas attendre. Ils sont si peu nombreux ceux qui peuvent, comme nous, lui rendre témoignage ! La seule compensation au triste privilège de survivre, pour quelques jours peut-être, à ceux que nous aimions, est de les servir encore quand ils ne sont plus là, d’avoir souci de leur mémoire. Ils ont droit à nos soins ; nous leur devons de dire aux générations qui s’élèvent ce qu’ils étaient, ce qu’ils valaient, et combien de riches semences échappées de leurs mains ont porté des fruits qu’elles ignorent.

Nous venons de soulever à peine le voile qui cachait un homme de talent, sans oser dire à son sujet toute notre pensée. Nous aurions craint, si nous avions tout dit, de n’être pas cru sur parole. Mais que de traits de cette physionomie si variée et si piquante notre timide témoignage ne laisse-t-il pas dans l’ombre ! Que de lacunes dans ce portrait, et quel insuffisant hommage ! Aussi nous n’espérons adoucir la douleur ni de ses anciens amis, chaque jour moins nombreux, qui gardent, comme nous, un tendre souvenir de cette âme d’élite, ni de ses enfans, ni surtout de sa veuve, sa digne et vraie compagne aussi bien par le cœur que par la