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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/801

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biens-fonds nets d’hypothèques, le jeune homme se baisserait pour les ramasser. Les rencontrera-t-il ? Voilà ce que j’ignore, et même si je le savais, je n’en soufflerais mot. Ce qu’on peut affirmer, c’est que M. le marquis est ferré sur le code, et qu’il ne donnera jamais à Pierre ce que la loi réserve à Paul ou à Pauline.

— Maître Foucou ! demanda Mainfroi, est-ce que Pauline est le nom de Mlle de Vaulignon ?

— À Dieu ne plaise, monsieur ! mais je vous jure que Mlle Marguerite est hors de cause. Pourquoi donc mettez-vous au particulier ce que je dis en général ? Est-ce que je suis un bavard, un homme léger, un notaire sans gravité, discrétion ni consistance ? Mlle Marguerite, quoi qu’il arrive, sera toujours un des plus beaux partis de la province. Ne me demandez pas quelle dot on lui destine, je dois l’ignorer ; mais elle sera pourvue en héritière, quand même elle n’hériterait de rien, — je m’entends. Et jolie avec cela comme,… oui, comme Mme Portal à dix-huit ans ; un vrai type de reine, elle aussi, mais naturellement une beauté moins faite,… je dis moins achevée. Il est bien malheureux que cette pauvre enfant soit séquestrée à Vaulignon. Quel succès, si M. le marquis daignait la produire à Grenoble ! Et je crois qu’elle-même préférerait la compagnie de ces dames au tête-à-tête avec une belle-sœur dont il ne m’appartient pas de dire aucun mal. »

Ce coupable bavardage d’un sot amusa presque toute la compagnie ; mais Jacques Mainfroi n’en rit guère, et il rentra chez lui passablement rêveur. « Ainsi donc, pensait-il, le testament est fait ; ce gentilhomme des rois, en me quittant, a couru chez son notaire. Il se trouve que j’ai exercé quelque influence sur le sort, ou, du moins sur l’avoir d’une fille qui ne m’est rien, que je ne verrai peut-être jamais, et qui probablement ignoré jusqu’à mon nom. Lui ai-je été nuisible ou utile ? qui le sait ? Le père semblait bien résolu à la dépouiller dans les limites du possible ; mais, lorsqu’il m’a prié de lui donner mon avis comme homme, je n’avais peut-être qu’un mot à dire pour sauver à cette pauvre enfant un grand tiers de son bien. Reste à savoir si elle aurait été plus heureuse étant plus riche. À cette loterie du mariage, les numéros gagnants ne sont pas toujours ceux qu’on a payés cher. Qui pourra-t-elle épouser ici ? Je ne vois guère de partis pour une héritière d’un million. Il n’y en aurait pas du tout pour une héritière d’un million et demi. Comment est-elle ? quelle femme est-ce ? J’ai vu le papa, je devine le frère ; ces propriétaires-chasseurs sont tous les mêmes : mes chiens, mes chevaux, mes pipes, ma cave, mon nom ! Mais la fille et la sœur de pareils hommes, à quoi peut-elle ressembler ? À Mme Portal ? Quel triple sot que ce notaire ! Amélie Portal est un