Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/850

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La population bretonne suffit seule à la défense de son double littoral. Jour et nuit en observation, elle ne quittait la bêche du terrassier que pour saisir le mousquet du garde-côte. Lorsque le chevalier de Rohan, abusant de la bonhomie des Hollandais pour leur escroquer de l’argent, leur promit de les introduire en Normandie, ce Catilina de ruelles respecta trop sa patrie pour mêler le nom de la Bretagne à des trames dignes d’aller se dénouer en police correctionnelle. Rien de plus patriotique que l’attitude de la péninsule durant cette crise. Attaquée par des forces considérables, Belle-Ile fut sauvée par l’élan de la population rurale et de la noblesse, et, au moment où allait commencer à Rennes la révolte, ce drame s’ouvrait à l’autre extrémité de la péninsule par un prologue d’un caractère antique. Depuis plusieurs semaines, des milliers de paysans des diocèses de Cornouailles et de Tréguier étaient accourus à Brest, et travaillaient avec ardeur à protéger la ville et son port par des terrassemens qui en formaient, à bien dire, la seule défense. Le duc de Chaulnes venait de partir pour la côte sud en emmenant la garnison lorsque, dans les derniers jours de juin 1674, la flotte de Tromp se déploya tout entière en vue de Brest, paraissant se disposer à la fois à forcer le goulet et à opérer un débarquement. Les moyens de défense étaient à peu près nuls, mais l’on était résolu à mourir en vendant chèrement sa vie. L’évêque de Tréguier réunit sur la place publique toute la population, et, après avoir donné au peuple l’absolution générale, il l’envoya, la conscience libre et le cœur joyeux, garnir les remparts, dont une soudaine tempête éloigna bientôt après l’ennemi en dispersant la flotte hollandaise dans des passes périlleuses.

Cette heure était mal choisie pour mettre en vigueur par de simples arrêts du conseil des édits dont la Bretagne s’était rédimée six mois auparavant, et dont elle avait célébré le retrait aux cris mille fois répétés de vive le roi ! Ni le duc de Chaumes, ni M. de Lavardin, ni M. Boucherat, ni Colbert, n’ignoraient qu’en votant en dehors du don gratuit un subside extraordinaire de deux millions l’assemblée close au mois de janvier 1674 avait entendu attacher à ce vote une condition formelle, l’abandon de tous les impôts contre lesquels protestaient alors le parlement et les états. Aucun doute n’était possible sur ce point en présence d’une délibération prise quelques jours auparavant, et dont le texte a trop d’importance pour n’être pas reproduit. « Les états, outre le don gratuit, ont offert au roi deux millions pour la suppression de la chambre royale du domaine établie à Rennes, de l’arrêt du conseil qui défend au parlement la communication aux états, de la recherche des justices seigneuriales et amendes pour icelles, — pour le retrait de l’édit des francs-fiefs et nouveaux acquêts, celui du sceau, celui de