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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/858

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qu’à la plus faible partie de ces tribulations quotidiennes. La mère de Mme de Grignan n’arriva aux Rochers qu’au mois d’octobre, et ne put apprendre à Paris que par ouï-dire les premiers actes du drame qu’elle exposait à sa fille, Si Mme de Sévigné assista à la péripétie la plus terrible, celle de la répression, elle ignora une foule d’épisodes conservés par la tradition locale, et dont son amitié pour le gouverneur de la Bretagne ne l’aurait pas empêchée d’amuser les loisirs de la gouvernante de Provence, heureuse de ne pas connaître d’expérience comment on détestait un gouverneur. Un jour, pour ne citer qu’un seul fait, la duchesse de Chaulnes parcourait le faubourg de la rue Haute, rasée trois mois plus tard probablement en souvenir de cette mésaventure ; son carrosse est bientôt entouré d’une foule compacte du milieu de laquelle se détachent quelques femmes au geste patelin et au sourire équivoque. — Madame, voudriez-vous bien consentir à nommer un enfant ? — Très volontiers, — reprend la gouvernante, heureuse de ce retour inattendu de popularité. Elle ouvre avec empressement la portière pour aller voir le nourrisson. A l’instant, une main vigoureuse lui lance à la tête la charogne d’un chat pourri, et les applaudissemens de la foule révèlent à la duchesse que tel est le filleul qu’on lui destine. Son cocher, alarmé, met ses chevaux au galop, et un coup de fusil vient briser l’épaule du page de Mme de Chaulnes, laquelle dut certainement éprouver cette fois toutes les terreurs décrites par Mme de Sévigné, et se croire appelée à être mise en pièces[1].

Cependant, sous le coup des mauvaises nouvelles qui survenaient de toutes parts, le duc de Chaulnes prit la résolution de se rapprocher de la Basse-Bretagne, car ce pays échappait de plus en plus à l’action de l’autorité royale. Il quitta Rennes au mois de juillet, y laissant Mme de Chaulnes à peu près prisonnière, et s’en remettant du soin de maintenir l’ordre à la milice bourgeoise, laquelle fit une sorte de pacte avec les émeutiers pour le maintien de la sécurité publique. Afin de ne commencer ses opérations qu’à coup sûr, le gouverneur alla s’enfermer dans Port-Louis, attendant derrière les fortifications de cette place les nombreux renforts qui ne lui arrivèrent qu’en septembre. De ce quartier-général, le duc de Chaulnes convoqua le ban et l’arrière-ban de la noblesse en des termes si pressans qu’un gentilhomme ne pouvait, sans forfaire à l’honneur, manquer d’obéir aux ordres qu’il recevait au nom du roi. Tous coururent aux armes, et la noblesse devint ainsi le noyau même, et durant plus de deux mois, l’instrument unique de la répression. Déjà compromise l’année précédente par le retrait opéré à son profit des édits sur le domaine et sur la justice seigneuriale, elle se trouva

  1. Lettres des 24 et 29 juillet 1675.